Écorces, de G. Didi-Huberman (23/05/2012)

Écorces, de Georges Didi-Huberman (ed. de Minuit), est un livre mince par le nombre de pages, mais important et profond.

La 4ème de couverture nous informe que "c'est le simple récit-photo d'une déambulation à Auschwitz-Birkenau en Juin 2011". La littérature est puissante : 71 pages seulement pour parler de "l'inimaginable" qu'il faut imaginer malgré tout "pour en figurer quelque chose au moins, au minimum de ce que nous pouvons en savoir" (p.30). Après avoir cité Walter Benjamin et ses propos sur l'archéologie, l'auteur nous dit "je ne prétends pas, en regardant ce sol (il s'agit des seuls restes architecturaux du Crématoire V) faire émerger tout ce qu'il cache. J'interroge seulement les couches du temps qu'il m'aura fallu traverser auparavant pour parvenir jusqu'à lui. Et pour qu'il vienne rejoindre, ici-même, le mouvement -l'inquiétude- de mon propre présent" (p.65). Il nous amène à réfléchir à notre point de vue, notre façon de voir des lieux, des bâtiments, des photographies. Par sa voix, nous effectuons avec lui cette visite de Birkenau. Une question vient forcément à l'esprit : Ces lieux de mémoire survivront-ils (et comment ?) à l'effacement des mémoires humaines ? Dans 100 ans, 200 ans, quelle perception de cet inimaginable, qu'il faut pourtant imaginer, auront nos descendants ?

Dans ce "récit-photo", les photos en noir et blanc (en gris, plutôt) ne sont pas de belles photos, esthétiques et brillantes, faites pour plaire. Mais elles sont essentielles, parce qu'elles sont nécessaires à la démarche de l'auteur, jusqu'à évoquer celles prises par des prisonniers eux-mêmes, en août 44, "seuls témoignages visuels d'une opération de gazage dans le temps même de son déroulement" (p.46). 19 courts chapitres, partant des écorces des bouleaux de Birkenau, pour y revenir à la fin : " que suis-je allé faire à Birkenau ?... J'ai traversé le bois de bouleaux tout projet suspendu... totalement sollicité par la violence du lieu"... (p. 69), violence qu'il nous fait partager, dans une grande économie de moyens, par la seule force de l'écriture.

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