la lecture, encore (01/09/2012)

Je me sens un peu comme une vieille bête, survivante d'un monde disparu. Il en reste encore quelques exemplaires égarés dans une époque qui n'est plus la leur, je ne suis pas toute seule. La conductrice du car qui me mène à la ville ayant un goût prononcé pour les radios commerciales, j'écoute malgré moi le bruit de ce monde qui n'est pas le mien, pas du tout. L'animateur radiophonique (mais il n'anime rien, il cause, beaucoup, et graveleux, c'est tout) ne cesse de citer des noms de chanteurs américains qui sont de parfaits inconnus pour moi, et le resteront très certainement. Mon trajet est gâché par les blagues douteuses et les musiques qui ne sont pas de la musique. Qu'est-ce que ce monde que je côtoie par force, de temps en temps, qui ne permet pas à ma tête de fonctionner librement, dans l'observation du paysage et du ciel, ou l'organisation de ma journée citadine ? Cette culture (est-ce le bon mot ?) n'est pas la mienne. Mais la mienne disparaît doucement. La fin annoncée (espérée par les industriels) de l'imprimé me laisse, selon les jours, dubitative ou franchement... dégoûtée ! Car à qui profite le crime ? Il faut toujours chercher à qui profite le crime. Toujours. Aux industriels de la communication, fabricants de liseuses si rapidement obsolètes,et aux numérisateurs des fonds d'éditeurs et de bibliothèques ? Le profit est sournois, car on voit bien qu'ils rendent service à l'humanité en mettant à disposition (mais rien n'est jamais vraiment gratuit) des millions de livres, dont sans doute un bon nombre sont les déchets de la littérature. J'aurai demain, comme tout le monde, dans ma petite machine 1000 livres en réserve, des "promesses de lecture", comme l'écrivait récemment un chroniqueur de presse. Ma lecture sera débarrassée des à-côtés qui l'encombraient. poids du livre, raideur des pages, mise en page, caractères trop petits, grain du papier rêche sous les doigts. Les mots, seulement les mots, une lecture pure. Le livre traditionnel est une survivance du passé, qu'il faut abolir, mais je n'ai pas encore compris au nom de quoi il fallait l'abolir. Dissocier la lecture de ses supports diversifiés est une avancée... mais la lecture n'est pas une affaire de progrès technique. Le charme des objets technologiques, leur facilité d'usage sont essentiels à l'affaire. Moi dinosaure issue en droite ligne du 19° siècle, j'assiste à une évolution majeure de l'écrit et de la lecture. Demain, plus personne ne lira comme on a appris autrefois à lire. L'affaire est entendue. Plus personne n'écrira avec un stylo à encre. On a appris à oublier la plume d'oie, la plume sergent-major, demain plus de pointe bic, plus de watermann. Pourquoi pas ? Mais, bêtement, je n'aime pas qu'une panne me prive de ma lecture. Je n'aime pas du tout ne pas pouvoir prêter à mon voisin le livre que j'ai pourtant acheté. Je n'aime pas du tout la dépendance technologique qui nous est imposée. Dinosaure sans boule de cristal, je me demande ce que sera la lecture demain.

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