Écrire (27/11/2013)

Les mots ne viennent pas, ou viennent mal, englués dans le fatras des pensées molles. Un jour, demain peut-être, je ne sais pas, la pointe du stylo sur le papier à petits carreaux n'aura plus aucune raison d'être, parce que les mots surgiront (ou pas...) d'une autre manière. Il faut s'y faire : l'écriture cursive va disparaître, parce que plus d'aucune utilité. Incroyable. Je doute fort que ces merveilleuses petites machines qui font tout à votre place, jusqu'à vous proposer le mot soit-disant juste, puissent me procurer la même jouissance que celle que me procurait mon stylo à plume carénée (on ne dit plus plume capotée, comme autrefois) lorsque j'écrivais frénétiquement le soir dans la salle d'étude de l'internat, dans un très gros cahier recouvert de papier jaune. Je ne sais pas si j'aimais écrire pour les mots, et ce qu'ils exprimaient, ou pour le tracé sinueux qui surgissait sur le papier, tracé que je trouvais très élégant, même si mon idée de l'élégance était approximative. J'aurais pu recopier le dictionnaire dans le même état de bonheur. Il y avait, pendant quelques heures, un accord parfait entre ma main, ma tête, et le papier, que j'aimais surtout quand il était un peu jauni. J'oubliais le bruissement de l'étude, la présence lointaine de la surveillante (qui n'avait à peu près rien à surveiller, nous étions des élèves peu turbulentes), entièrement absorbée dans cette relation très particulière, forte, de la main, du stylo, du papier et des mots. Écrire, même des âneries, était une activité quasiment sublime. Cela n'a pas changé : je commence chaque journée, ou je la termine, les doigts serrés sur le stylo, l'index légèrement taché d'encre (toujours noire, l'encre), la tête en alerte, et tant pis pour les âneries inévitables. Je n'en rougis même pas.

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