Le vieil homme (05/12/2013)

Le vieux Mathais remontait lentement la pente, s'arrêtant tous les dix pas, le corps usé, chancelant, la goutte au nez, tout le temps. Un pas grand chose socialement, mais très gentil et dévoué à mes parents comme pas permis. Il descendait matin et soir à "l'usine", terme bien pompeux pour désigner le baraquement qui abritait la turbine électrique installée sur le torrent dans les années 20 par mon père. Mathais était chargé de nettoyer la grille au bout du canal de dérivation, sans cesse encombrée de feuilles et de débris de bois. Mais en automne, il fallait descendre plusieurs fois dans la journée. Tant de feuilles tombées ! Pour les autres corvées de l'usine, Mathais n'était pas fiable. Graisser ou régler la courroie de l'alternateur incombait à d'autres. Mathais avait eu une autre vie, avant. Cordonnier de métier, puis ouvrier agricole, un peu maltraité dans une ferme isolée, un peu porté sur la bouteille, il se considérait comme heureux d'avoir à s'occuper tranquillement des poules, des cochons, du jardin, de la grille de l'usine. Petit homme sec, doué d'un grand appétit, pour qui nous tricotions écharpes ou pulls à Noël, nous ne sommes plus que quelques personnes à nous en souvenir. Une vie effacée, sans traces. Mais dans ma mémoire, demeurent ses gestes doux pour m'offrir un oeuf frais pondu à gober en cachette ou un bouquet de fraises des bois, cueillies en remontant de l'usine.

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