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28/01/2012

Autrefois

Ils sont nés au XIX° siècle. Étaient nés, devrais-je dire, puisqu'ils ne sont plus. Mon père et ma mère. Grâce à eux, à cause d'eux, j'appartiens encore un peu à cette époque lointaine. Par leurs paroles, par leurs silences, par leurs habitudes, ils m'ont transmis un bagage dont je n'ai plus que faire. Un bagage maintenant inutile. Ma mère adolescente nettoyait le verre enfumé de la lampe à pétrole. Mon père portait des cols durs. Ils ont appris les voitures, l'électricité, les lave-linge, le nylon, les soupes lyophilisées, les couvertures chauffantes, les congélateurs. Puis ils sont morts. Mais je garde la sensation d'avoir encore les pieds dans la boue, les semelles transpercées par le froid, les vêtements alourdis par la pluie, d'entendre comme lui le vacarme des obus dans les tranchées. Mes mains savent retourner un col de chemise. Je garde le souvenir de la petite épicerie des mes grands parents, dont je ne connais la devanture poussiéreuse que par une photographie. Je garde dans ma mémoire les chevaux perdus de mon grand-père voiturier. Et les verres à absinthe de ma grand-mère qui avait, paraît-il, un oeil blanc mais ce fait n'est attesté par aucun document, et qui est morte de la grippe espagnole. Je garderai toujours le souvenir des odeurs de ce temps,  celle du pétrole de la lampe, celle du lait tourné, celle des vêtements mal lavés, sans les avoir jamais respirées, ces odeurs des corps et des objets, avant l'eau courante chaude et froide sur l'évier, de la poussière des planchers aspergés d'eau avant le coup de balai. Les enfants jouaient à arroser le plancher avec ce drôle d'instrument en forme d'entonnoir à embout très fin, et à écrire de grands huit sur le bois. Ces efforts n'empêchaient pas la poussière de voler, il fallait ensuite essuyer les verres avec ces grands torchons de fil blancs, si doux sous la main. Je traîne un bagage qui me semble venir de loin, impossible à déposer. Il n'y a pas de consigne pour ces bagages-là.

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