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29/10/2015

Sartre et ma mère...

Dans les lointaines années 40 ou 50, au siècle passé, Sartre et ma mère ont eu un point commun, le "médicament qui donne du courage", comme disait une employée de ma mère, toutes les deux écrasées de soucis et de travail. La corydrane donnait du courage et soutenait les grandes entreprises. Sartre écrivait son monumental Flaubert, ma mère et Mme T. assurait la bonne marche d'une maison pleine et de monde (et l'entreprise de mon père, assez insensée...). Travail intellectuel pour l'un, tâches ménagères pour les autres, mais une seule solution pour surmonter les difficultés. Ma mère aurait été bien étonnée si on lui avait dit qu'elle se dopait. Elle et sa compagne de labeur n'avait besoin que de courage, et souvent celui-ci leur manquait... Le tube de corydrane n'était jamais loin.

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02/10/2015

Rosalie

Rosalie, mariée à 17 ans, 3 ans plus tard 3 enfants, et ensuite 3 décennies de travail harassant, de soucis, de désastres (maladies, morts, faillite). Mais, disait son fils, elle a toujours gardé le sourire. La vaillance ne l'a jamais quittée, jusqu'à la fièvre espagnole qui l'a clouée dans un lit dont elle ne s'est jamais relevé. Je pense souvent à elle, ma grand-mère inconnue, lointaine et pourtant familière. J'imagine ses allées et venues dans la grande maison ou la veilleuse de la lampe à huile atténue l'obscurité de l'escalier, et les lampes à pétrole dans la salle, dans la cuisine. Ma grand-mère n'a pas connu, je crois, l'électricité chez elle. Les verres de lampe étaient difficiles à nettoyer, sans eau chaude au robinet, les mains grasses de suie ensuite. Encore avait-elle l'eau courante, depuis quelques années. Son doux sourire éclaire les photographies de ce temps, le visage auréolé des frisottis échappés du chignon de rigueur. Pourtant, de cette femme souriante et tranquille, qui partait le soir à la rencontre du voiturier, une lampe tempête dissimulée sous sa mante, pour lui éviter l'amende des gendarmes à l'entrée du village, de cette femme généreuse, donc, sa fille disait "elle ne sait pas soigner". Je mets bout à bout des informations éparses, cela fait un portrait un peu cubiste, un peu faux, et très vrai. 

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19/09/2015

Deux soeurs

Elles étaient deux. Deux soeurs, Adrienne et Léonce. Je ne sais pas laquelle était l'aînée. Mais je sais qui commandait l'autre. Adrienne ordonnait, Léonce exécutait. Durs travaux des champs mais aussi salariée à la belle saison dans un hôtel du coin : doubles journées, mais toujours un doux sourire un peu confus sur les lèvres, comme si elle s'excusait d'être ce qu'elle était... On aimait Léonce, pas Adrienne, dure, et jamais un mot de reconnaissance pour sa soeur. J'ai un trou de mémoire : laquelle est morte la première. Je crois que c'est Léonce. Oui. Adrienne n'a plus eu personne à commander, à part son fils, qui lui tenait tête. Les clients de l'hôtel chantaient : "Léonce, Léonce, café au lait s'il vous plaît !". Et Léonce, pressée, répondait en riant doucement : "voilà, voilà...". Le travail était aussi pénible à l'hôtel que dans les champs, mais au moins il y avait de la bonne humeur et des rires partagés. Léonce ne se plaignait jamais. Sa vie de servante lui semblait normale. Une vie entière au service des autres, sans récriminations. 

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23/07/2015

Mon autrefois

C'étaient des figures. Ils faisaient partie du village, malgré, ou à cause, de leur pauvreté et de leurs excès. Voici l'image que j'ai d'eux, alors que plus personne ne pense à eux. Leurs silhouettes titubantes les soirs de boissons (allez, disons le mot : de cuites), leurs voix patoisantes et rocailleuses, leurs vies solitaires dans des petites maisons inconfortables, à l'écart du village. Fantié, Ernest et quelques autres, vivotant de petits travaux payés à la journée, n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes. Des sans familles, tolérés parce qu'on ne pouvait faire autrement, amenés à mourir dans la solitude, sans doute. Mais ils avaient aussi leur petite part lumineuse : Fantié jouait du cor de chasse, les soirs d'hiver, les adultes faisaient alors des réflexions acerbes, mais les enfants écoutaient, hypnotisés par ces sons plaintifs. Ernest, à chaque Toussaint, décorait la tombe de sa mère (un simple rectangle herbu bordé d'une légère grille de fer forgé) de houx et de feuillages soigneusement agencés. Le contraste était saisissant : tout autour des caveaux de pierre et de ciment, ornés de chrysanthèmes prétentieux à grosses têtes mauves, et cette tombe rustique, champêtre, si bien entretenue par un loqueteux qui se souvenait de sa mère, peut-être son seul amour. Ces vieux célibataires avaient plus triste allure que d'autres vieux, surveillés par leurs épouses (Bigre, Léon, Gustavo) ou par des neveux intéressés par leurs petits héritages. Mais qui se souvient d'eux ? Moi même je ne suis pas sûre de me souvenir de tous. De toutes les façons, quelle importance ? N'empêche ! Chacun de nous a des petits lots de souvenirs très personnels, jamais partagés et grâce auxquels nos vies deviennent singulières, ignorées de nos descendants qui, à leur tour, regardent le monde et se l'approprient, imprégnant leurs mémoires de gens, de paysages, d'odeurs, et le raconteront à leur manière, ou pas, 70 ans plus tard...

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