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27/01/2012

Les 2 cousines

Les vieilles cousines étaient les reines de la ficelle. Elles n'ont pas connu le ruban adhésif ("qui se précipite sur lui-même, s'autocolle avant que l'emballeur n'ait pu s'en saisir" selon Henri Cueco). Ficelle et papier kraft étaient dociles entre leurs mains adroites. Elles n'étaient pas douées pour le commerce, hérité d'un père très protecteur à leur égard. Mais les paquets, elles savaient. Surtout la plus petite, qui avait le nom le plus long, Marguerite, la moins intellectuelle des 2. Sa soeur, Maria, la plus grande (mais laquelle était l'aînée, je ne sais pas) était une pianiste accomplie, à qui les organisateurs de concert venaient emprunter son piano à queue les soirs de grand tralala. Bref, les 2 cousines vivotaient de leur commerce de bonneterie, faisaient des paquets irréprochables pour une marchandise qui l'était moins mais dont elles vantaient les mérites. De gros paquets garnissaient (je devrais dire "ornaient") les étagères supérieures du magasin. Elles y gardaient des articles de premier choix, à l'abri de la lumière, qui décolore les tissus, disaient-elles. Chères vieilles cousines qui cachaient leur misère dans des paquets parfaits, mais vides. Je ne sais pas ce qu'ont pensé les gens qui ont vidé la boutique après leur mort. Ils ont du être surpris ! Par charité pure, aucune des acheteuses n'a jamais demandé l'ouverture de ces trésors cachés. La solidarité familiale, ou de voisinage, reposait sur un savoir vivre sans failles, et pas question de mettre Maria ou Marguerite en difficulté. Ces acheteuses, dont ma mère, bien sûr, payaient sans sourciller des articles de second choix au prix du premier choix, uniquement pour les soutenir financièrement sans les humilier par une aide trop visible qui aurait mis en évidence leur échec commercial et personnel. Une de leur cousine, boulangère, leur faisait livrer le soir les viennoiseries invendues du jour, et coupait court aux remerciements en disant "mais voyons ! c'est bien normal entre cousines !". Mes cousines les Nanon (je n'ai appris leur véritable nom que récemment, et ce n'était pas Nanon !) sont mortes depuis longtemps. Mais je n'oublie pas leurs doigts agiles nouant la ficelle sur des paquets dérisoires, technique désuète et perdue. 

07:10 Publié dans Avant | Lien permanent | Commentaires (1) |  Imprimer

Commentaires

en plus du plaisir de te lire, quel cadeau inestimable tu fais à tes petits-enfants en livrant tes souvenirs.

Écrit par : lebret | 27/01/2012

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