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11/12/2011

Le feu

Chaque matin, faire ce que je n'avais jamais fait auparavant : froisser des journaux, mettre une poignée de brindilles, du petit bois, une bûche, craquer une allumette. Je ne manque ni de journaux, ni de bois. Je reste quelques minutes devant le poêle, à observer les flammes, à écouter le ronflement paisible du feu, les bûches qui craquent. Se chauffer (partiellement) au bois est un bonheur. Le feu est mouvant, il habite la pièce. Sentiment de confort, de quiétude. Le fauteuil voisin semble plus douillet, la lumière de la lampe plus douce. La corvée de l'approvisionnement en bois ne me pèse pas (pas encore...). La seule maison où j'ai vu faire du feu dans mon enfance était celle de ma grand tante, qui se chauffait uniquement à la cuisinière à bois. Le foyer en était minuscule, les bûches coupées pour elle par un homme du village qui s'appelait Firmin, ne faisaient guère plus de 20 à 25 cm. Elle ne chauffait que la cuisine, petite enclave confortable dans sa maison glaciale. Le peu d'eau chaude dont elle disposait provenait du réservoir contigu au foyer de la cuisinière, qu'elle allumait même en été pour préparer ses repas, y compris le café au lait du matin. J'aimais le bruit métallique des plaques remuées énergiquement au pique-feu, l'odeur du bois, de la fumée; tout cela me semblait plus vivant que les appareils électriques de notre maison. Je n'ai jamais entendu ma tante se plaindre du froid. Elle sortait plusieurs fois par jour pour chercher des bûches, les épaules couvertes d'un de ses châles de laine grise qu'elle affectionnait, et sa vie de femme seule, veuve depuis si longtemps, se déroulait paisiblement entre les soins ménagers ordinaires, répétitifs, l'entretien de l'église, les offices religieux, le catéchisme, et les visites à ses neveux dans le village. Chez l'un elle jouait à la belote, chez l'autre elle reprisait les chaussettes ou effilait les haricots. Les cendres de la cuisinière servaient à tracer des chemins plus sûrs dans la neige, à rendre l'escalier d'accès moins glissant. Ma tante est morte depuis longtemps, sa maison est fermée. Firmin a fini sa vie loin du village, dans une maison de retraite.  Je suppose que la vieille cuisinière à bois a été portée à la décharge. Mais j'ai retrouvé le ronflement rassurant du poêle et j'ai des provisions de cendres pour tracer un sentier dans le jardin, au cas où il neigerait...

10/12/2011

L'escale

Dans une rue voisine du magasin, dans cette ville où j'ai habité pendant 2 ans, autrefois, il y avait une boîte de nuit. Pendant la journée, c'était une façade morte, portes fermées, lumières éteintes. Mais le soir, les néons de l'enseigne lumineuse clignotaient dans la semi-obscurité qui régnait alors dans les rues. La lueur, alternativement rouge/bleue/verte illuminait le plafond de notre chambre. Je ne connaissais de l'Escale que ces lumières, assez puissantes pour éclairer une chambre d'enfant, à 100 mètres de distance. L'Escale, forcément, n'avait pas très bonne réputation. Mais je trouvais magnifiques ces lumières de la nuit, qui me tenaient compagnie avant de m'endormir. Des décennies plus tard, je me souviens encore de l'Escale, de son enseigne, de sa réputation, de sa porte d'entrée poussiéreuse et toujours close aux heures où je passais dans la rue, pour aller chez le dendiste, un peu plus loin. Mais j'ai oublié le nom du dentiste, responsable de beaucoup de mes souffrances d'enfant. 

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09/12/2011

Ombres (4)

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08/12/2011

La bibliothèque orange

Mon interlocutrice s'étonne que je ne connaisse pas la bibliothèque Orange. Mais c'est très connu, dit-elle, depuis très longtemps. C'est mondial. Ma mère déjà en faisait partie. C'est très simple. On paye une cotisation, et régulièrement on se réunit pour faire circuler les livres et pour en parler. Il y a des groupes dans beaucoup de villes. C'est la bibliothèque Orange. Non, je ne connais pas. Je m'émerveille une nouvelle fois de constater l'écart entre le monde visible (celui que je connais, en gros) et le monde invisible (celui que je ne connais pas). Bien sûr, je ne suis pas naïve, je sais bien que le monde invisible est sans commune mesure avec le monde visible. D'un côté, l'océan, de l'autre côté un dé à coudre. La bibliothèque Orange fait partie de l'océan. Dans le dé à coudre, il y a mes maigres connaissances, mes petites idées sur le monde comme il va, pas grand chose. Ce matin, la bibliothèque Orange est passée dans le dé à coudre. Attention au trop plein !

J'imagine ces dames (ce sont toujours des dames), se réunissant chez l'une ou chez l'autre, boissons fraîches, thé, biscuits secs, et les piles de livres devant elles sur la table de la salle à manger. Elles sont pleines de bonne volonté. Elles aiment lire. Entre elles, ces piles de livres, inépuisables, comme les bonheurs de la lecture. Elles ont des vies bien remplies, elles travaillent, prennent les transports en commun, ou leur voiture, font le ménage le matin avant de partir, les courses en rentrant le soir. Elles ne sont pas très jeunes. Elles sont courageuses. Le lien ténu mais solide de la lecture les réunit. Elles savent que demain, elles déposeront un livre chez une telle, ou après-demain. Elles se téléphonent. Ne deviennent pas pour autant des amies intimes. Non, c'est autre chose. Le système est souple, peu contraignant. Tout repose sur la bonne volonté, et tout le monde est plein de bonne volonté. Pas de livres qui se perdent. Et après, après que vous les avez lus, que deviennent-ils ? Oh, je crois qu'on les envoie, en Afrique, en Roumanie, c'est pour soutenir la langue française.

La somme indiquée pour la cotisation me paraît trop faible pour alimenter des achats conséquents. Donc la bibliothèque Orange fonctionne obligatoirement avec des moyens supplémentaires. Je voudrais comprendre l'organisation, complètement. Je m'étonne qu'une structure relativement élaborée puisse fonctionner depuis des décennies uniquement sur la base du volontariat. Il faut que je me renseigne.

Je me suis renseignée. J'ai lu ce qu'ont écrit de doctes sociologues sur la question. La sociabilité des livres et la communauté des lecteurs. Les cotisations. Des dames de la bonne société. Elles n'aiment pas les textes osés. Le système les oblige à lire, c'est les personnes interrogées qui le disent. Il y a encore, dans certaines couches de la société, cette idée que lire est bien. Je dois m'en réjouir. Je ne m'en réjouis pas complètement. La bonne société et la morale, je n'aime pas. C'est définitif.