Gris-gris

Que deviendront mes gris-gris après ma mort se dit le vieux, la vieille, en contemplant les objets anodins rassemblés sur la vieille commode, dont le plateau a été brûlé par un autre vieux qui y avait oublié sa pipe allumée. Quelqu'un fera restaurer la commode, sans savoir, et les souvenirs déposés là finiront à la poubelle. C'est une histoire cousue de fil blanc, de génération en génération. La tabatière du père, la boîte à poudre de la grand-mère, le menu de mariage... Peut-être, avant la poubelle, le brocanteur ? Les mains rendues maladroites par l'âge remuent ces reliques du passé, déjà presque silencieuses. Il faudrait savoir vider sa maison avant sa mort, désemcombrer les héritages. Personne ne le fait, car comment se passer de ses souvenirs, quand il ne reste rien d'autre de la vie que l'on a connue, si belle, si riche, à ne pas croire que c'est déjà fini, et personne à qui le dire.

St Jacques n'est pas loin

Justice...

Un vieux monsieur entra en conflit avec son voisin, sous prétexte que celui-ci avait laissé poussé des arbres qui lui cachaient la vue sur ses montagnes adorées. Le tribunal lui donna raison, et le voisin coupa ses arbres, amer et mortifié. Pourtant, le vieux monsieur ne profita pas de la vue retrouvée : tombé malade, il mourut sans voir les arbres abattus, ni les montagnes. Quelque temps plus tard, sa maison brûla. Les uns dirent qu'il y avait une justice, d'autres dirent "c'est la faute à pas de chance". Le voisin ne dit rien. 

Citation

Automne, feu furieux, vieux feu, bûcher. Ferraille, bois et brumes. Rouille, cendre. Aube cendreuse, consumée, fête finie, ornements déchirés, délavés. Brumes armées, en marche sur champs er jardins. Le soc du froid s'avance et brille. L'ombre debout en arrière laboure.

Philippe Jaccottet, Semaisons, Gallimard, p.24