16/11/2012
Le temps, les voix
De ceux que l'on a aimés, on garde le souvenir d'une enveloppe charnelle, même longtemps après leur disparition. Leur allure générale, leur morphologie, leur démarche, leur corpulence. Mais on oublie leurs voix. Ou plutôt ce souvenir des voix est présent, mais évanescent, impalpable. Les êtres aimés sont devenus des images intérieures, soutenues par les photographies. Mais les voix ? On croit les entendre encore, on distingue, en se recueillant les yeux fermés, les timbres, les particularités de chacune. Mais rien de tangible. On ne dispose pas d'enregistrement qui soutiendraient ces souvenirs, comme le font les photographies. Sans parler des voix que l'on n'a jamais entendues, même si on peut reconnaître et nommer nos ancêtres sur les vieux clichés, sur guère plus de 4 générations. Et encore ! Permanence et impermanence du souvenir. Outre les photographies, quelques objets peuvent aider à rassembler des éléments d'histoires. Mais les nouvelles générations ne savent pas que ma grande lampe en laiton était la lampe à pétrole de mes arrières grands-parents, du côté de mon père, lui tisserand, elle femme au foyer, donc sans profession, bien que travailleuse de force. Lui sachant écrire, elle ne le sachant pas. Et cette table ronde, en provenance de mes grands parents maternels, côcher, maraîchers, épiciers, 36 métiers, 36 misères. Et puis quoi ? Quand bien même j'étiquetterais ces pauvres choses, comme cette dame qui archivait tous les objets de la vie courante, vêtements, lettres, photographies, avec un soin maniaque, cela n'aurait aucun sens pour mes descendants, qui, à leur tour, n'auront jamais entendu ma voix, ou en auront perdu le souvenir. Bizarrement, la pensée que tout ce qui m'entoure aujourd'hui finira au rebut dans un hangar où sont stockés les vieux objets un jour revendus ne m'attriste pas. La mémoire entre générations est si brève. Il n'est sans doute pas nécessaire de s'y attarder plus que de raison : le présent absorbe force et énergie, demande toute notre attention. Les voix absentes sont couvertes par les voix de maintenant, celles des enfants, les voix des rires, des chants, des disputes. Ils demandent, encore et encore, c'est comme une aspiration permanente de nos forces vives. Les voix oubliées et éteintes ne font pas le poids. Ne comptent plus. Et c'est bien.
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15/11/2012
Souvenir
Lisant les premières pages de "14" de Jean Echenoz, où il évoque la distribution des uniformes, me revient subitement un souvenir anodin, de ce genre de souvenir sans importance mais pourquoi s'en souvient-on ? Mystère ! J'ai porté dans ma petite enfance une pèlerine taillée dans une ancienne capote militaire ayant appartenu à mon père. J'ai eu sur le dos, pendant quelques années, un peu de tissu rescapé de la grande guerre, de la boue des tranchées et des éclats d'obus. C'était un tissu très serré, drap de laine un peu raide, qui protégeait bien du froid, mais long à sécher après la pluie ou la neige. Cette petite pèlerine à capuche que je portais sans accorder la moindre importance à son origine en raison de mon âge, taillée et cousue par ma sœur aux doigts d'or, devenue avec le temps comme un lien personnel entre une petite fille en galoches et la première guerre mondiale, dont mon père parlait souvent, pèlerine qui n'existe plus que dans mon fragile souvenir mais par laquelle j'ai effleuré un fragment d'histoire et qui a marqué mon inconscient. Il y avait sans doute eu les commentaires proférés à voix haute par les adultes, mon père, ma mère, ma sœur si habile couturière, capable de sauver ce qu'il fallait de tissu pour me confectionner un vêtement dans une capote qui, après avoir connu les tranchées, avait encore dû être utilisée par mon père, d'où ses commentaires, et expliquant sans doute la permanence dans ma mémoire de cet épisode insignifiant.
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14/11/2012
Anecdote
Tout le monde peut écrire. Une plume, un bic, un crayon, un ordinateur peut-être, du papier. Tout le monde, ou presque, écrit. Feuillets cachés ou cahiers étalés. Le père de Colette s'enfermait dans son bureau pour écrire le grand oeuvre de sa vie. À sa mort, on a trouvé les fameux cahiers résultats de son prenant labeur rangés sur les étagères. Tous vierges. Pas le moindre mot. Il ne faisait que rêver d'écrire, dans une posture acceptée par les siens. Silence ! votre père écrit.
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13/11/2012
Faire
Avoir un projet. Même un projet tout petit. À prendre avec sérieux. Lire Saint-Simon. Dessiner un fruit chaque jour. Ou une fleur. Classer les photos de famille, pour sortir de leur anonymat tous ces visages lointains. Venir à bout du rangement entrepris il y a des mois (et plus) et qui devient perpétuel, partie inhérente de ma personne : "je range" et tout le monde rigole. Le rangement n'existe que dans ma tête. C'est là que ça se passe. Mes mains n'y peuvent rien. C'est un "projet" qui n'avance pas. Dessiner une fleur (ou un fruit) chaque jour serait un projet susceptible d'avancer. Sauf que : à quoi bon ? Ranger sert à quelque chose. Quoique... J'ai des doutes sur l'utilité véritable de cette activité. Aucun doute sur l'importance de dessiner (ou écrire ou peindre) chaque jour. Ça ne sert à rien non plus, (et n'intéresse personne) sauf à susciter en moi un sentiment de plein bonheur. Une façon de dérober du temps au temps et cela n'a pas de prix. Juste de la reconnaissance pour tant de chances : avoir pu le faire.
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