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11/11/2011

Mon 11 novembre

Le 11 novembre, une brève cérémonie rassemblait les habitants du village autour du monument aux morts, dans le cimetière, à 11 heures, heure de l'armistice de 1918. Le maire procédait, avec solennité, à l'appel des disparus, une trentaine de noms. Un ancien combattant, qui avait perdu un bras dans cette boucherie, répondait d'une voix forte : "Mort pour la France". Moi, j'entendais : Bor pour la France, scandé d'une façon très particulière, que je ne sais pas retranscrire. Après cet appel, lugubre dans le froid de novembre, il y avait une minute de silence. L'assemblée, très recueillie, était composée, je l'ai dit, des habitants du village, dont certains, comme mon père, étaient des rescapés de la guerre de 14-18. Les enfants de l'école entonnaient ensuite la Marseillaise, guidés par l'instituteur. C'était tout. Je ne me souviens pas qu'il y ait eu ensuite le moindre discours ni vin d'honneur officiel. Après cette mini-cérémonie, empreinte d'une certaine grandeur et d'émotion, les gens se retrouvaient, par affinités, dans l'un des 4 bistrots. C'était le meilleur moment du 11 novembre. Tous ou presque avaient vécu cette guerre désastreuse pour les campagnes françaises, soit directement, soit par les conséquences de la disparition de membres de leurs familles. Mon père était un rescapé, un chanceux et je suppose qu'à chaque 11 novembre, il devait penser que son propre nom aurait pu être gravé sur la pierre du monument. Il ne disait rien de ce qu'il avait vécu. Il parlait, avec faconde, des hommes. Il racontait des anecdotes plutôt drôles sur la vie dans les tranchées, dans les casernements, un peu vantard, pourrais-je dire. Mais jamais l'horreur de la guerre. Jamais la peur. Jamais l'ennui. Jamais le froid, l'humidité, le rata dégoûtant, tout ce que d'autres ont raconté dans leurs lettres ou leurs journaux. Il n'envoyait que de brèves missives à sa mère et à ses soeurs, surtout pour demander qu'on lui envoie des nouvelles. À peine si, occasionnellement, il disait avoir rencontré une connaissance du pays, ou avait appris qu'un autre était blessé ("il est tiré d'affaire maintenant", c'est-à-dire : il ne retournera pas au front), ou mort. Je ne sais pas, tant d'années après, ce qu'il pensait de cette guerre, dont il était revenu bardé de décorations, mais très malade. Ils n'étaient pas si nombreux, les rescapés, réunis autour du monument aux morts. Amochés, mais vivants. Il y a chez moi, comme dans de nombreuses familles, des objets fabriqués par les soldats, pendant les périodes d'inaction : bougeoirs, vases, et le pire, je trouve, mais je ne sais pas pourquoi je pense que c'est pire, des bagues en aluminium ou en fer blanc. Une manière de passer le temps, et la matière première hélas ne manquait pas. Ces objets ne sont pas beaux, mais ils sont là, et je fais encore partie des gens pour qui ils ont une signification. Mon père les a ramenés dans ses bagages, avec sa caisse de photographe, son uniforme, ses éperons (!) et sa selle. On ne voyageait pas léger à l'époque.

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10/11/2011

Encore une histoire de tombe...

Aucun nom sur la stèle grise. Au fronton, on peut lire "Famille L...". Rien d'autre. Les morts inhumés dans cette tombe familiale ne sont pas nommés. Personne ne s'est préoccupé de faire graver par le marbrier leurs noms, prénoms, dates de naissance et de mort. Mais posée au pied de la stèle, une ardoise gravée d'un nom rompt cet anonymat. Sauf que celui dont le nom figure sur l'ardoise... n'a pas été enterré dans cette tombe. Il a été incinéré, cendres envolées. Mais un de ses héritiers est venu dans ce cimetière poser cette ardoise, presque en cachette, pour avoir un lieu où se recueillir. Ceux qui reposent là sont anonymes, celui qui est nommé n'y est pas. 

09/11/2011

Mon voisin

Je connais quelqu'un qui a passé toute sa vie à l'ombre du même clocher. Il a habité deux maisons dans sa vie. Sa maison natale, côté est du clocher et celle où il a vécu 50 ans avec son épouse, côté nord du clocher. Maintenant âgé, malade, il va partir en maison de retraite. Il va perdre définitivement cette masse sonore qui a bercé toutes ses nuits et rythmé ses journées. Je sais de quoi je parle : je suis née côté ouest de ce clocher, qui sonne et redouble toutes les heures, puis un coup pour la demi. Rien pour les quarts, heureusement. Je dis "heureusement" uniquement pour faire plaisir à ceux qui ne pourront jamais s'habituer à ces ondes sonores qui vrillent les oreilles. Je ne le dis pas pour moi, ni pour le vieux monsieur de la maison voisine. Déjà, dès avant notre naissance, dès le ventre de nos mères, nous avons entendu ces coups répétés sur la cloche. Je ne reviens jamais dans ma maison sans être émue par ces sons tellement quotidiens. Mon vieux voisin, dans sa maison de retraite, ne les entendra plus. Mais dans sa déréliction extrême, y pense-t-il seulement ? 

08/11/2011

La lampe

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