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09/01/2014

Voeux

Obstinée, têtue, désuète, la tortue envoie des carte de voeux, par la poste, comme autrefois. Elle se souvient de ce moment particulier, après Noël, où les enfants avaient ce devoir à accomplir : envoyer des cartes de voeux à des gens que l'on ne voyait jamais, mais à qui il était obligatoire de souhaiter une bonne année et une bonne santé. Les cartes choisies à la boutique du chef-lieu brillaient de paillettes argentées collées sur des dessins assez mièvres. Les enfants trouvaient dommage de se séparer de ces merveilles au profit de gens qui les méritaient pas. Voeux insincères, mais pas pire que la tournée des voisins immédiats, obligatoire dans la matinée du premier janvier, en ces années lointaines. Il y avait trop de bises que l'on aurait voulu éviter. Mais les parents ne transigeaient pas sur certaines règles. Aujourd'hui, la tortue prend plaisir à concocter sa carte de voeux et à feuilleter son carnet d'adresses pour n'oublier personne. Une manière de garder, malgré tout, un lien avec son passé ?

08/01/2014

Écritures

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Des centaines de recettes, recopiées dans de grands cahiers aux reliures à l'ancienne, comme des registres administratifs. Recopiées sans ordre précis, au jour le jour, traces d'une époque où l'on n'aimait pas découper les journaux ou les magazines qui circulaient de mains en mains, mains de ménagères qui avaient le souci permanent de nourrir au mieux et à moindre frais des familles entières, ou minuscules découpages tout de même, collés avec soin. Des pages et des pages d'écritures, au stylo bille, les noms des recettes quelquefois soulignés en rouge. Des ajouts dans les marges, pour la cuisinière toujours à l'affût de trucs et astuces permettant d'améliorer sa pratique. Remplir les cahiers était une activité personnelle, dont aucun de ses proches ne se souvient. Elle ne s'intéressait qu'aux recettes qu'elle était susceptible de réaliser. Pas de denrées rares ou exotiques. Le thon vient d'une boîte, comme les fonds d'artichaut. Le cahier de recettes est une occupation de l'après-midi. Une fois la vaisselle faite, rangée, le sol balayé, elle peut se consacrer à ses écritures personnelles. En somme, à travers ses cahiers, elle écrit sa vie : nourrir sa famille, avec bonheur, faire avec les moyens du bord, dépenser le moins possible, utiliser les restes. Il y a des recettes qu'elle ne fera peut-être pas, mais peut-être si. Tout est là. Dans son cahier, elle écrit le possible de la vie, de sa vie, pour elle seule. Elle s'apaise dans ses écritures secrètes, où il y a bien plus que des recettes. Comment ne pas y voir, outre son intérêt pour la cuisine, une ouverture sur l'avenir ?

 

07/01/2014

Musée

Le vieux musée est installé dans une ancienne demeure de je ne sais quel personnage important d'autrefois. Le recyclage des vieilles demeures obéit toujours aux mêmes règles. Peu de monde circule dans les salles aux parquets grinçants. Tellement grinçants que les visiteurs ne se déplacent qu'avec lenteur, en hésitant. Un des gardiens ressemble à un motard, grand bonhomme habillé en noir, botté (mais pas casqué tout de même...) On se demande ce qu'il fait là. Il détonne. D'un coup je le vois s'approcher d'un tableau, l'examiner longuement. Il sort un téléphone énorme de sa poche et appelle quelqu'un, à voix basse. "Je suis untel, salle n° tant, je viens de constater une rayure sur un tableau de...". Il explique l'endroit précis de la rayure. J'assisterais en direct à la découverte d'un forfait ? Je n'ai pas le temps d'attendre la suite des événements. Mais je suis intriguée par cette connaissance des oeuvres qui lui a permis de détecter une anomalie là où les visiteurs n'ont rien vu. Les tableaux du vieux musée sont protégés. Jamais assez. 

05/01/2014

La vieille dame

La vieille dame avait des comportements de petite fille. Entourée d'objets inutiles, de souvenirs, de boîtes à trésors, tout cela conservé avec soin. Presque de la dévotion. Il aurait fallu lui dire que ça ne servait à rien, que ces objets n'avaient pas de sens, qu'à son âge, pourquoi ces coquillages ramassés des décennies plus tôt, ces cailloux, ces bouts de bois aux formes grotesques... Elle ne pouvait (ou ne voulait ?) pas dire ce qu'étaient pour elle ces minuscules jalons d'histoire. D'histoires. Le cendrier cassé, irréparable, acheté un jour de bonheur d'adolescente, le cygne en pâte de verre qui avait été sucrier chez ses grands parents, morts avant sa naissance. Un jour, se disait-elle, je ferai la liste de ces vieilleries. Pourquoi faire une liste, se disait-elle aussi, parce qu'elle n'était ni gâteuse ni stupide. C'est juste pour passer en revue mon histoire et celle de mes proches lointains. Mes proches lointains ? Il y a quelque chose qui cloche. Je n'ai pas les réponses. La vieille dame monologuait en tentant d'extirper la poussière de ces débris, mais personne ne pouvait entendre son chuchotis.