08/01/2014
Écritures
Des centaines de recettes, recopiées dans de grands cahiers aux reliures à l'ancienne, comme des registres administratifs. Recopiées sans ordre précis, au jour le jour, traces d'une époque où l'on n'aimait pas découper les journaux ou les magazines qui circulaient de mains en mains, mains de ménagères qui avaient le souci permanent de nourrir au mieux et à moindre frais des familles entières, ou minuscules découpages tout de même, collés avec soin. Des pages et des pages d'écritures, au stylo bille, les noms des recettes quelquefois soulignés en rouge. Des ajouts dans les marges, pour la cuisinière toujours à l'affût de trucs et astuces permettant d'améliorer sa pratique. Remplir les cahiers était une activité personnelle, dont aucun de ses proches ne se souvient. Elle ne s'intéressait qu'aux recettes qu'elle était susceptible de réaliser. Pas de denrées rares ou exotiques. Le thon vient d'une boîte, comme les fonds d'artichaut. Le cahier de recettes est une occupation de l'après-midi. Une fois la vaisselle faite, rangée, le sol balayé, elle peut se consacrer à ses écritures personnelles. En somme, à travers ses cahiers, elle écrit sa vie : nourrir sa famille, avec bonheur, faire avec les moyens du bord, dépenser le moins possible, utiliser les restes. Il y a des recettes qu'elle ne fera peut-être pas, mais peut-être si. Tout est là. Dans son cahier, elle écrit le possible de la vie, de sa vie, pour elle seule. Elle s'apaise dans ses écritures secrètes, où il y a bien plus que des recettes. Comment ne pas y voir, outre son intérêt pour la cuisine, une ouverture sur l'avenir ?
17:55 Publié dans Chronique sans faits divers | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer
05/01/2014
La vieille dame
La vieille dame avait des comportements de petite fille. Entourée d'objets inutiles, de souvenirs, de boîtes à trésors, tout cela conservé avec soin. Presque de la dévotion. Il aurait fallu lui dire que ça ne servait à rien, que ces objets n'avaient pas de sens, qu'à son âge, pourquoi ces coquillages ramassés des décennies plus tôt, ces cailloux, ces bouts de bois aux formes grotesques... Elle ne pouvait (ou ne voulait ?) pas dire ce qu'étaient pour elle ces minuscules jalons d'histoire. D'histoires. Le cendrier cassé, irréparable, acheté un jour de bonheur d'adolescente, le cygne en pâte de verre qui avait été sucrier chez ses grands parents, morts avant sa naissance. Un jour, se disait-elle, je ferai la liste de ces vieilleries. Pourquoi faire une liste, se disait-elle aussi, parce qu'elle n'était ni gâteuse ni stupide. C'est juste pour passer en revue mon histoire et celle de mes proches lointains. Mes proches lointains ? Il y a quelque chose qui cloche. Je n'ai pas les réponses. La vieille dame monologuait en tentant d'extirper la poussière de ces débris, mais personne ne pouvait entendre son chuchotis.
21:39 Publié dans Chronique sans faits divers | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer
03/01/2014
L'après-midi
Trois tasses sur la table, avec leur soucoupes. La porcelaine fine tinte légèrement, à peine si on le remarque. Dehors, pluie et vent. Le thé est bon, parfumé sans excès. La conversation est comme feutrée par le mauvais temps. On observe les flammes dans le poêle. Il ne se passe rien. Enfin, rien de notable.
08:24 Publié dans Chronique sans faits divers | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer
01/01/2014
Enfer et paradis
En permanence dans la vie le positif côtoie le négatif. L'ombre, la lumière. Le bonheur, la crainte. L'esprit tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, selon qu'il est perturbé par un mot, un regard, l'écho du monde, ou consolé par un mot, un regard et (plus rarement il est vrai) un écho du monde. Ce n'est pas un mouvement de pendule régulier, pas du tout. Nous sommes plutôt sur une échelle qui nous conduit au paradis et plus souvent en enfer, parce que nous avons l'épiderme fragile et chatouilleux. Mais au moins il fait chaud en enfer, et nous aimons avoir chaud...
11:46 Publié dans Chronique sans faits divers | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer