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23/11/2011

Le Vin bourru, de Jean-Claude Carrière

Le Vin bourru, un livre de Jean-Claude Carrière (Plon). Pas un livre récent, puisque publié en 2000, mais que je découvre grâce, encore un fois, aux bibliothèques publiques. Entre les nouveautés, les classiques, il y a de la place pour des ouvrages difficiles à classer, mais précieux. Un livre sensible, écrit par un homme de 70 ans, qui revient sur son histoire après avoir visité un éco-musée, où il découvre que son enfance est là, et que les touristes viennent la découvrir, comme une chose morte.

Ces souvenirs, écrits par un homme de plume, me touchent par l'ampleur de la réflexion qu'ils suscitent. Peu, parmi nous, sont insensibles aux traces de notre histoire individuelle. Pour ma part, cette enfance rurale, le basculement de la guerre, la mort d'une civilisation, me parlent, même si je n'ai rien à voir avec le Haut Languedoc. Lorsqu'il  écrit "Né dans une culture, j'ai grandi dans une autre, il y a une quantité étonnante de choses que l'on m'avaient apprises et qui ne m'ont servi à rien", nous comprenons ce que veut dire la fin d'un monde rural, et aussi ce que veut dire l'exil. Il dit aussi : " nous ne sommes là que pour perdre... la ruine est la condition de la renaissance... tout est allé, toujours, de destruction en destruction. Comme les jardins de Babylone, comme le vieux quartier de Belleville, notre village ne vit que dans un coin de notre tête... Il y vit sans doute pour toujours, rien ne l'en délogera, je mourrai avec lui, il mourra avec moi..." Et enfin, " de là, mille questions sur les ruptures, les accélérations, les oublis, les regrets parfois, les passages, les inquiétudes, sur ce qui nous fait et nous défait. Sur ce que nous avons perdu, gagné, sur ce qui nous reste.

Le titre du livre fait penser à un enième roman de terroir. Nous en sommes loin. C'est une réflexion profonde, humaniste, pas du tout passéiste, et finalement plutôt encourageante. Pour finir, une note d'humour :"Je suis sans doute un des rares auteurs, en France, à savoir labourer avec un cheval... à condition de savoir trouver un cheval qui sache le faire".

22/11/2011

La femme aux bottes

Elle traverse le village dix fois par jour, voire plus. Elle marche, légèrement penchée en avant, chaussée de bottes de caoutchouc qui paraissent trop grandes. Elle porte une blouse de travail sur ses vêtements, et un gilet, quel que soit le temps..

Elle marche toujours à la même vitesse, le visage baissé. D'un geste furtif mais ferme, elle fauche les géraniums le long du mur devant l'église et secoue le rosier des voisins absents. Elle est d'une vieille famille du pays. Son mari, ancien mineur, est mort de la silicose. Ses enfants, son fils surtout, veille sur elle, et vient régulièrement faire les courses avec elle. Elle perd la tête, tout le monde le sait ici. On l'a vue jeter des pierres sur la route, ou bien se taper sur les fesses d'un geste assez grossier au passage d'une voiture. Je m'efforce de la saluer quand je la rencontre, mais elle est indifférente à mon salut. Elle a oublié qui je suis, elle a oublié que ma sœur aurait, si elle était en vie, le même âge qu'elle, 84 ans, elle a oublié qu'à 24 ans, elle a tressé des guirlandes de fleurs des champs pour orner le cercueil de son amie, avec les autres jeunes filles du village. Cette grande absence au monde me trouble. Dans le village, on dit qu'elle est méchante. Je ne crois pas qu'elle soit méchante, elle est seulement perdue. Son agressivité est bénigne. Le cantonnier balaie les fleurs amochées, les employés de la DDE enlèvent les cailloux quand il y en a trop, mais personne n'intervient. Nous pensons tous qu'un jour, la situation s'aggravera, et qu'il faudra mettre fin à sa déambulation innocente, pour la protéger. Mais la protéger de quoi ? Je me demande si elle pense encore à sa mère, celle qui brodait les fleurs des prés sur des échantillons de lainage, qu'elle assemblait ensuite au point de chausson. À son père, qui a eu le tétanos, et que mon père veillait à l'hôpital, en maintenant ses membres tordus par les convulsions de la maladie. À sa tante, vieille originale qui disait à ma mère, sur un ton prophétique : "Madame, nous vivons un monde nouveau !" et qui vivait dans la solitude d'un hameau, dernière habitante du lieu.

Christine vit dans un monde où elle n'a plus sa place, et elle nous le dit, à chaque pas de ses bottes d'homme, les bras croisés dans le dos, immuablement.

21/11/2011

Vieille et abandonnée

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20/11/2011

L'anguille des bois

Ils sont 8 à table, tous les jours. Les parents et 6 enfants. Pas simple à nourrir ce monde-là, quand l'argent est rare. Les poules ne pondent pas, à cause du plomb broyé par le père, qui fabrique des vernis pour les potiers. Le jardin, ça va, il pousse bien, plomb ou pas. Un jour, la mère prépare un plat inconnu. Ils se régalent. Poussée par la curiosité, l'aînée des filles demande ce que c'est, là, dans la cocotte, puis dans les assiettes, qui est si bon, mais de forme bizarre, il faut bien le reconnaître. Le père rigole et dit : "c'est de l'anguille des bois". Silence autour de la table. Puis : il y a des anguilles dans les bois ? Le père, toujours rigolard : puisque je vous le dis ! Plus tard, ils apprendront qu'ils ont mangé une couleuvre. Comme quoi les couleuvres, ça s'avale, et ce n'est pas une image. Ça se passait dans les années 20, la pauvreté était aussi âpre que maintenant. Il ne faut rien oublier.

08:25 Publié dans Avant | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer