13/12/2011
Pour moi toute seule, dit-elle
Un seul me suffira, c'est pour moi toute seule... Elle se souvient de ces mots entendus dans une bibliothèque publique. À la bibliothécaire qui expliquait avec grand sérieux, à une dame d'apparence modeste, vêtue d'une blouse de nylon à fleurs, qu'elle pouvait emprunter 6 livres, la vieille dame avait répondu en souriant :"un seul me suffira, c'est pour moi toute seule". Elle avait ôté son manteau en entrant dans la bibliothèque, l'avait accroché avec soin au porte-manteau, et s'était présentée dans sa blouse de nylon bleue au bureau des inscriptions. Oui, un seul livre, mais comment allait-elle le choisir ?
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12/12/2011
Les vieilles personnes
C'est un privilège des vieilles personnes, qui ont beaucoup vécu, que de pouvoir évoquer le passé. Les vieilles personnes radotent un peu, rabâchant toujours les mêmes histoires. Elles agacent, les vieilles personnes. Elles ont beau savoir qu'elles feraient mieux de se taire, elles ne peuvent s'empêcher de parler. Parler pour dire si peu. En apparence. Car elles savent beaucoup de choses. Mais personne n'a envie de les entendre, ces choses du passé. Ces leçons moralisantes. Ces anecdotes d'un autre temps. Ces souvenirs à moitié effacés des mémoires. Et gna gna gna. Et gna gna gna... Les vieilles personnes essaient vainement de se taire, de parler, leurs trottinements usent le linoléum des salles à manger désertées, la vaisselle se casse comme qui dirait toute seule, les livres sont morts sous la poussière. Mais il y a cet enfant lointain, qui, dans le délabrement des mémoires, fait entendre sa voix, encore et encore, chuchotis de bonheurs anciens, ne l'entendez-vous pas, cet enfant, à travers les mots chevrotants des vieilles personnes ?
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11/12/2011
Le feu
Chaque matin, faire ce que je n'avais jamais fait auparavant : froisser des journaux, mettre une poignée de brindilles, du petit bois, une bûche, craquer une allumette. Je ne manque ni de journaux, ni de bois. Je reste quelques minutes devant le poêle, à observer les flammes, à écouter le ronflement paisible du feu, les bûches qui craquent. Se chauffer (partiellement) au bois est un bonheur. Le feu est mouvant, il habite la pièce. Sentiment de confort, de quiétude. Le fauteuil voisin semble plus douillet, la lumière de la lampe plus douce. La corvée de l'approvisionnement en bois ne me pèse pas (pas encore...). La seule maison où j'ai vu faire du feu dans mon enfance était celle de ma grand tante, qui se chauffait uniquement à la cuisinière à bois. Le foyer en était minuscule, les bûches coupées pour elle par un homme du village qui s'appelait Firmin, ne faisaient guère plus de 20 à 25 cm. Elle ne chauffait que la cuisine, petite enclave confortable dans sa maison glaciale. Le peu d'eau chaude dont elle disposait provenait du réservoir contigu au foyer de la cuisinière, qu'elle allumait même en été pour préparer ses repas, y compris le café au lait du matin. J'aimais le bruit métallique des plaques remuées énergiquement au pique-feu, l'odeur du bois, de la fumée; tout cela me semblait plus vivant que les appareils électriques de notre maison. Je n'ai jamais entendu ma tante se plaindre du froid. Elle sortait plusieurs fois par jour pour chercher des bûches, les épaules couvertes d'un de ses châles de laine grise qu'elle affectionnait, et sa vie de femme seule, veuve depuis si longtemps, se déroulait paisiblement entre les soins ménagers ordinaires, répétitifs, l'entretien de l'église, les offices religieux, le catéchisme, et les visites à ses neveux dans le village. Chez l'un elle jouait à la belote, chez l'autre elle reprisait les chaussettes ou effilait les haricots. Les cendres de la cuisinière servaient à tracer des chemins plus sûrs dans la neige, à rendre l'escalier d'accès moins glissant. Ma tante est morte depuis longtemps, sa maison est fermée. Firmin a fini sa vie loin du village, dans une maison de retraite. Je suppose que la vieille cuisinière à bois a été portée à la décharge. Mais j'ai retrouvé le ronflement rassurant du poêle et j'ai des provisions de cendres pour tracer un sentier dans le jardin, au cas où il neigerait...
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10/12/2011
L'escale
Dans une rue voisine du magasin, dans cette ville où j'ai habité pendant 2 ans, autrefois, il y avait une boîte de nuit. Pendant la journée, c'était une façade morte, portes fermées, lumières éteintes. Mais le soir, les néons de l'enseigne lumineuse clignotaient dans la semi-obscurité qui régnait alors dans les rues. La lueur, alternativement rouge/bleue/verte illuminait le plafond de notre chambre. Je ne connaissais de l'Escale que ces lumières, assez puissantes pour éclairer une chambre d'enfant, à 100 mètres de distance. L'Escale, forcément, n'avait pas très bonne réputation. Mais je trouvais magnifiques ces lumières de la nuit, qui me tenaient compagnie avant de m'endormir. Des décennies plus tard, je me souviens encore de l'Escale, de son enseigne, de sa réputation, de sa porte d'entrée poussiéreuse et toujours close aux heures où je passais dans la rue, pour aller chez le dendiste, un peu plus loin. Mais j'ai oublié le nom du dentiste, responsable de beaucoup de mes souffrances d'enfant.
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