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16/12/2011

Je vide mes placards...

J'ai tout préparé : un grand sac poubelle pour ce que je vais jeter, un autre pour ce que je vais donner. Les placards sont tellement pleins qu'il faut prendre des décisions fermes. Les mains plongées dans la penderie, je palpe les tissus, je reconnais les vêtements au toucher, j'ai l'impression de remuer des années d'histoire personnelle par le simple mouvement de mes doigts. Quand j'aurai terminé de trier les vêtements, je passerai aux tissus, dont les caisses encombrent le bas de la penderie. Belle idée. Je suis heureuse de commencer ce chantier remis de jour en jour, depuis des mois. J'imagine ce que seront les placards ensuite : des piles parfaites, par genres : les pull-overs, les chemises, les chemisiers, les pantalons, les manteaux, les gilets, les écharpes… Un royaume d'ordre, d'harmonie, fondé sur l'usage des choses, et non un empilement d'objets tombés quasiment dans l'oubli par non-usage. Un beau jour, on cesse de porter tel pull-over, telle chemise, mais bien malin serait celui qui dirait pourquoi. Un nouveau pull prend le sommet de la pile, pile d'ailleurs incertaine, toujours prête à basculer parce que les tailles et les formes sont mélangées, et que dans la précipitation du choix matinal on ne prend pas la peine de remettre systématiquement de l'ordre. L'ancien pull, celui qu'on a préféré pendant des mois, descend d'un cran dans la pile. Bientôt de deux. L'oubli s'installe.

Il y en a trop. C'est tout. Ma penderie souffre du trop. De l'excès. Elle explose par négligence de ma part. Parce que je ne me pose pas de questions. Ces vêtements ont fait partie de ma vie. À quel moment sont-ils passés à l'arrière-plan ? Incapable de répondre à ces questions, je laisse mes mains poursuivre leur exploration de la penderie, totalement inefficaces. Les souvenirs prennent le pas sur les décisions nécessaires. Quelques vêtements portés rarement, pour de grandes occasions, chemisiers de soie, jupes amples ou très près du corps… Le sentiment, violent, du temps qui passe, et de l'inexorable cheminement de la vie. Entre les changements de la mode et les modifications de mon corps, il y a là une masse qui n'a plus sa place dans mon quotidien. Qui de l'état de vêtements sont devenus, à mon insu, des frusques. Des vieilles fringues. De l'immettable. Donc, la solution est là, toute simple. Si c'est immettable, je jette. Bravo, j'ai la solution, je vais appliquer une règle parfaitement logique : tout vêtement non porté depuis… mettons 5 ans, mérite l'exil définitif. 5 ans ? Pourquoi 5 ans ?

Renoncer à ce qu'on a aimé. Quelquefois au-delà du raisonnable. Ce chemisier de soie, aux tons changeants de bleu et de rouge, vraiment magnifique, ne mérite pas mon désamour. En mon for intérieur, je souris. Il est dans la penderie depuis des lustres. Il a échappé à chaque nettoyage. Et aujourd'hui enfin la grande décision ? Je sais bien que non. Je n'aime pas, pas du tout, me séparer de ce que j'ai aimé. On me dit qu'il le faut. Mais au nom de quoi ? quelle loi prescrit-elle de mettre au rebut les objets qui nous ont accompagnés sans faillir pendant pas mal d'années ? Aucune. En tout cas aucune que je reconnaisse. Me voilà donc avec une penderie largement sous dimensionnée par rapport à ce qu'elle est censée contenir, avec mes regrets, mes souvenirs, mes indécisions.

Mais le pire est à venir…

Voilà, je suis comme ça.       

15/12/2011

Encore une histoire de mémoire...

Un jour, on parlera de moi au passé. On dira "elle était"", "elle disait", "elle aimait", puis on oubliera, jusqu'à mon nom et mon existence. Le maillon que je représente dans la chaîne humaine n'est pas plus important que ceux qui l'ont précédés et pas plus que ne le seront les suivants. Au moment de m'endormir, hier soir, ces pensées banales ont occupé mon esprit pendant longtemps. Ces jours merveilleux, ces années d'activités intenses, ces bonheurs modestes et pourtant inouïs, tout va s'effacer. C'est la loi de notre condition d'homme, si peu intéressante au regard de l'infinité et de la vastitude du monde. Mes vêtements jetés ou donnés, mes livres, mes chers livres mis en carton, provisoirement, puis peu à peu perdus, abîmés, ou repartis dans le circuit des livres d'occasion. Mes archives personnelles, papiers, écrits, photographies et autres documents deviendront inutiles parce qu'illisibles, parce que jamais classées et traitées. Je réfléchis à ce que je suis, à ma place au milieu des milliards de gens que nous sommes. Une place tellement minuscule qu'elle est invisible. Inutile de regimber, c'est le propre de notre condition que de disparaître, à tout jamais invisible. Je songe à ces ossements retrouvés dans les fouilles archéologiques. Des gens qui ont été comme moi, comme nous, vivants, aimants, réduits à des ossements que les archéologues étudient avec passion, comme si c'était important. Dans la tranchée ouverte, je vois en passant ces vestiges moyenâgeux, j'ai une pensée pour ce qu'ils ont été, et dont on ne sait rien. Ils s'inscrivent dans ma mémoire, malgré leur anonymat, et leur silence. 

12/12/2011

Les vieilles personnes

C'est un privilège des vieilles personnes, qui ont beaucoup vécu, que de pouvoir évoquer le passé. Les vieilles personnes radotent un peu, rabâchant toujours les mêmes histoires. Elles agacent, les vieilles personnes. Elles ont beau savoir qu'elles feraient mieux de se taire, elles ne peuvent s'empêcher de parler. Parler pour dire si peu. En apparence. Car elles savent beaucoup de choses. Mais personne n'a envie de les entendre, ces choses du passé. Ces leçons moralisantes. Ces anecdotes d'un autre temps. Ces souvenirs à moitié effacés des mémoires. Et gna gna gna. Et gna gna gna... Les vieilles personnes essaient  vainement de se taire, de parler, leurs trottinements usent le linoléum des salles à manger désertées, la vaisselle se casse comme qui dirait toute seule, les livres sont morts sous la poussière. Mais il y a cet enfant lointain, qui, dans le délabrement des mémoires, fait entendre sa voix, encore et encore, chuchotis de bonheurs anciens, ne l'entendez-vous pas, cet enfant, à travers les mots chevrotants des vieilles personnes ? 

11/12/2011

Le feu

Chaque matin, faire ce que je n'avais jamais fait auparavant : froisser des journaux, mettre une poignée de brindilles, du petit bois, une bûche, craquer une allumette. Je ne manque ni de journaux, ni de bois. Je reste quelques minutes devant le poêle, à observer les flammes, à écouter le ronflement paisible du feu, les bûches qui craquent. Se chauffer (partiellement) au bois est un bonheur. Le feu est mouvant, il habite la pièce. Sentiment de confort, de quiétude. Le fauteuil voisin semble plus douillet, la lumière de la lampe plus douce. La corvée de l'approvisionnement en bois ne me pèse pas (pas encore...). La seule maison où j'ai vu faire du feu dans mon enfance était celle de ma grand tante, qui se chauffait uniquement à la cuisinière à bois. Le foyer en était minuscule, les bûches coupées pour elle par un homme du village qui s'appelait Firmin, ne faisaient guère plus de 20 à 25 cm. Elle ne chauffait que la cuisine, petite enclave confortable dans sa maison glaciale. Le peu d'eau chaude dont elle disposait provenait du réservoir contigu au foyer de la cuisinière, qu'elle allumait même en été pour préparer ses repas, y compris le café au lait du matin. J'aimais le bruit métallique des plaques remuées énergiquement au pique-feu, l'odeur du bois, de la fumée; tout cela me semblait plus vivant que les appareils électriques de notre maison. Je n'ai jamais entendu ma tante se plaindre du froid. Elle sortait plusieurs fois par jour pour chercher des bûches, les épaules couvertes d'un de ses châles de laine grise qu'elle affectionnait, et sa vie de femme seule, veuve depuis si longtemps, se déroulait paisiblement entre les soins ménagers ordinaires, répétitifs, l'entretien de l'église, les offices religieux, le catéchisme, et les visites à ses neveux dans le village. Chez l'un elle jouait à la belote, chez l'autre elle reprisait les chaussettes ou effilait les haricots. Les cendres de la cuisinière servaient à tracer des chemins plus sûrs dans la neige, à rendre l'escalier d'accès moins glissant. Ma tante est morte depuis longtemps, sa maison est fermée. Firmin a fini sa vie loin du village, dans une maison de retraite.  Je suppose que la vieille cuisinière à bois a été portée à la décharge. Mais j'ai retrouvé le ronflement rassurant du poêle et j'ai des provisions de cendres pour tracer un sentier dans le jardin, au cas où il neigerait...