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31/10/2012

"Peste & choléra", de Patrick Deville (Seuil)

C'est un livre qu'on saisit en hésitant. Le titre, franchement, ne fait pas envie. Et puis cet engouement des auteurs d'aujourd'hui à se saisir de personnages connus pour en extraire le romanesque... c'est l'imagination qui fait défaut, ou quoi ? Oui, mais ! Ce livre est passionnant de bout en bout, même si l'on ne s'est jamais intéressé à l'histoire des sciences, à Pasteur (au fait, vous saviez qu'il n'était pas médecin, le grand homme ?), aux bacilles qui ravagent les peuples. Yersin, le grand homme de ce livre, est un savant "de la bande à Pasteur". Né au XIXème siècle, mort pendant la seconde guerre mondiale. C'est un homme à la curiosité sans limites, qui prend des risques, touche à tout, découvre, expérimente, cherche, sans cesse. Habitué des paillasses de laboratoire, il devient médecin maritime, explorateur, géographe, planteur, homme d'affaires, gestionnaire d'un immense domaine au Vietnam. Jamais très loin de l'institut Pasteur, sans y être tout à fait. Le récit n'est pas linéaire. L'auteur, qui se désigne comme l'observateur de cette vie hors des conventions, cherche les emboîtements de ces aventures, le ceci qui explique cela. Il cherche les familles d'esprit (la bande à Pasteur, la bande à Rimbaud, à Mermoz, aux Parnassiens. La répétition du mot bande agace un peu, mais elle est assez nécessaire). L'auteur a des tournures fondées sur la culture commune de ses lecteurs. Il commence une phrase sans l'achever, ce n'est pas la peine, tout le monde connaît la suite "heureux qui comme Ulysse...", ou bien utilise des formules un peu triviales "ça commence à lui courir sur le haricot", pour être au plus proche de la vie et éviter l'emphase, je suppose. Des figures de références flottent dans le roman, Loti, Rimbaud, en arrière plan. L'auteur s'attarde sur la mémoire perdue de tant de vies. "si chacun écrivait 10 vies, aucune ne serait oubliée", comme s'il livrait une clé du roman. On songe à Michon et à ses vies minuscules, à Plutarque et à ses vies des hommes illustres. Gràce à ce roman, Pasteur, Yersin et consorts ne seront pas oubliés. 

13/10/2012

"Sauvegarde", journal de Imre Kertèsz, Actes sud

De passage dans une grande librairie du Sud, ma main s'est posée sur ce livre et j'ai lu les premières lignes de ce journal :" en principe, je peux commencer à taper. J'aimerai enregistrer ce fichier sous le nom de "fichier secret". Ces mots datent du 18 mars 2001. L'auteur est atteint de la maladie de Parkinson et commence à utiliser un ordinateur pour pouvoir continuer à écrire malgré la maladie. À cette même époque, ayant acheté mon premier ordinateur portable, j'ai commencé à écrire une sorte de journal, comme pour apprivoiser cet appareil dont je ne savais pas bien à quoi il allait me servir... Le rapprochement s'arrête là ! Kertèsz, juif hongrois, malade, écrit ce qu'il pense être son dernier roman, sur lequel il travaille depuis 13 ans. Le journal couvre 2 années : on y suit les progrès de la maladie, la vieillesse, les affres de la création, l'hostilité de ses compatriotes, l'antisémitisme, l'attribution du prix Nobel, source de soucis et de ruptures avec certains de ses amis. 200 pages, souvent elliptiques (l'auteur sait de quoi il parle, le lecteur pas vraiment), qui nous éclairent un peu sur la vie intellectuelle hongroise. Kertèsz se sent un peu comme Thomas Bernhard en Autriche, même si les raisons ne sont pas exactement les mêmes. L'auteur a été interné à 15 ans à Auschwitz puis Buchenwald, et cette "expérience" l'a profondément marqué. Il ne supporte pas le nationalisme hongrois et est trop souvent confronté à la bétise et à la haine. Ce journal est celui d'un homme désenchanté, malade, mais sauvé par l'écriture. Au moment de l'attribution du prix Nobel, pris par une quantité d'obligations plus ou moins mondaines et obligatoires, il note "l'écriture me manque tant que j'en suis malade"... "il y a que je n'écris pas; ma vie n'a pas de sens, je me vis comme un étranger". Cet homme harcelé par la maladie, la vieillesse, la méchanceté des hommes, ne vit littéralement que par l'écriture. 

20/08/2012

"Une sale rumeur"

Une sale rumeur, de Anne Fine, ed de l'Olivier, 1998

Une histoire de famille, mais une histoire pas comme les autres. À la fois l'histoire d'une désintégration de la famille, d'une (fausse) liberté retrouvée, et de retours de bâtons inévitables. Ou une version plus élaborée et complexe que l'habituel "on récolte ce qu'on a semé". Si les premières pages de ce roman sont un peu monotones (les relations entre les  quatre sœurs sont terriblement conventionnelles), la suite devient vite plus intéressante, par la subtllité des changements entre elles, par ce qui est dit, non dit, ou suggéré. Tout un éventail de sentiments, de frustrations, d'aigreurs en tout genre. La famille comme un nœud de vipères, assurément. S'en échapper n'est pas facile. Le résultat de cette liberté pas forcément enviable laisse le lecteur dubitatif, sans réelle vision positive, mais pas non plus tout à fait négative. À chacun d'estimer la valeur de la lucidité et ses conséquences sur des relations que l'on avait cru à toute épreuve... Mais tout le monde en prend pour son grade, et est renvoyé à ses propres turpitudes et erreurs (de jugements, d'actions). Ce n'est pas un livre inoubliable, mais il fait son bonhomme de chemin dans la tête du lecteur, et c'est déjà beaucoup.

07/08/2012

Comment j'ai vidé la maison de mes parents, de Lydia Flem

Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Lydia Flem, Seuil, 2004

 

Depuis 6 ans, ce livre m'attendait sur ma table. Je l'avais acheté à cause du titre. Vider la maison de mes parents est justement ce à quoi je ne suis jamais parvenue. J'attendais, en somme, de ce livre, une leçon de rattrapage. Sauf que je ne me suis pas résolue à l'ouvrir, jusqu'à ces jours derniers, où je me suis opportunément trouvée en panne de lecture. Je ne regrette pas mon retard. Je déguste avec encore plus de plaisir ces pages qui m'attendaient depuis 6 ans. Dès les premiers mots "à tout âge, on se découvre un jour orphelin de père et de mère" jusqu'aux derniers "je n'ai pas envie de mettre un point final à ce livre", on parcourt avec l'auteur ce chemin ouvert par la mort de ses parents, à 2 ans d'intervalle. Un récit à voix retenue, feutrée, sans grandiloquence, qui parle de deuils, du trouble dans lequel ces morts nous laissent et de la légitimité des héritages et des donations. De l'impudeur qu'il y a à ouvrir des tiroirs, à lire des lettres à eux adressées, à découvrir une intimité, voire des secrets, qu'ils n'avaient pas jugé bon de révéler de leur vivant. Vider la maison de ses parents est une tâche ardue, "la plus lourde d'affects contradictoires". Les centaines d'objets auxquelles il faut trouver une destination, objets communs, ou plus précieux. L'auteur distingue l'héritage de la donation, soulignant combien celle-ci est préférable à l'héritage ("obtenir l'usage d'un bien sans qu'il nous ait été légué par le testateur"). Vider la maison de ses parents est un long parcours à travers leurs vies et la nôtre. C'est mesurer à chaque instant le poids du chagrin et de l'absence, et réviser, en quelque sorte, sa généalogie et son histoire. Toutes les histoires familiales n'ont pas la dimension tragique de celle de Lydia Flem. Il en est heureusement de plus paisible. Mais le parcours de l'orphelin, même tardif, est toujours marqué des mêmes symptômes : les souvenirs, dont il faut être capable de se protéger, pour pouvoir décider, la lourdeur (physique, au premier sens du terme), les choix presque impossibles à faire. Tout est définitif. On ne revient pas sur ce qui a été donné, vendu, jeté. Sauf si, comme l'auteur, on écrit un livre à partir de cette expérience unique. "Écrire captait le flot bouillonnant des affects". Et "toutes ces choses familières que nous avons aimées, un jour ne sont plus que vieilleries encombrantes. Il faut nous en séparer, joyeusement. Célébrer la victoire de la vie sur la mort".