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12/10/2011

Ohran Pamuk

Ohran Pamuk, Istanbul (Souvenirs d'une ville), Gallimard

Il est impossible de parler d'un tel livre en quelques lignes, tant il foisonne d'informations et d'images. 440 pages, entièrement consacrées à une ville, Istanbul, ville natale de l'auteur et aussi ville de sa famille, mais pas seulement à travers son histoire. C'est un livre personnel (l'histoire de la famille, sa formation d'écrivain) mais c'est bien plus qu'un livre de souvenirs. Certes ce sont eux, les souvenirs, qui suscitent les longues descriptions de la ville, mais c'est aussi toute une histoire débordant largement la vie de l'auteur qui nous est restituée. Pour le lecteur occidental qui ne connaît pas Istanbul, c'est une découverte. On y lit la jeunesse de l'écrivain, l'évolution d'une société, la perte d'une partie de son identité dans les bouleversements architecturaux et urbanistiques, l'occidentalisation forcenée qui fait disparaître les "konak", vieux bâtiments en bois, brûlés, démolis. La famille aussi s'éteint peu à peu. L'auteur habite toujours l'immeuble Pamuk familial, et dit "ma vie est faite de ces souvenirs, paysages et lieux issus de ce paradis perdu". Il ne cesse de décrire la lumière crépusculaire des intérieurs surchargés de bibelots et d'objets semi-précieux, et Istanbul comme une ville en noir et blanc. Des photos un peu grisâtres accompagnent le texte, sans légendes (il faut se reporter à la fin du livre pour les trouver) et soulignent combien ce livre de souvenirs est aussi un livre extrêment documenté.

C'est un livre nostalgique "la triste poésie de la destruction et des ruines", "une somptueuse civilisation ottomane disparue", "les dessins de Melling issus d'un paradis hors d'usage, se mêlent à ma vie présente"... mais c'est avant tout un chant d'amour pour la ville, et le récit de la naissance d'un écrivain. 

09/10/2011

Je lis Alan Watts

Alan Watts, Matière à réflexion, Denoël Gonthier, coll Médiations, 1975 

Voilà un des charmes des bibliothèques publiques : trouver au hasard de la déambulation le livre auquel on ne pensait pas du tout, l'emprunter, et prendre un réel plaisir à sa lecture. Découvrir une personnalité, inscrite dans un temps largement révolu mais qui garde un ton qui peut nous toucher. Le chapitre sur la cuisine est… savoureux. "Cuisine sans couleur égale nourriture sans goût". Une description du pain sans appel. "une bouillie blanchâtre comme de la bave de limace". L'expression est toujours forte, juste. Les temps modernes ont façonné un homme qui a perdu le sens du nécessaire et du goût. Plus de bonnes pommes, de bonnes tomates. Watts dit avoir pensé que son palais avait été détérioré par un abus de tabac, tant la nourriture lui semblait fade. Mais à l'occasion d'un voyage en Angleterre chez son père, il a l'occasion de savourer de vrais légumes, frais et bien cuisinés, et c'est une révélation. Son palais va bien, mais la nourriture aux États Unis est devenue insipide. Entre ce qu'on avale devant la télévision, donc absorbé par l'écran et indifférent au contenu du plateau surgelé, et les produits préparés industriellement, il n'y a plus de place pour une vraie nourriture, dont la production ne reposerait pas sur la seule notion de profits. Son constat est amer, mais le simple fait qu'il puisse l'énoncer donne malgré tout un léger espoir. La confiance en la nature humaine se lit entre les lignes. Sa description de ce que doit être une cuisine, par son emplacement, son mobilier, les accessoires nécessaires, utiles et non superflus, insuffle une certaine force à son texte. Nous ne sommes pas dans des visions éthérées, dans une méditation abstraite. Voilà, il faut une table en bon bois que l'on peut brosser, des chaises adaptées, de la belle vaisselle simple et solide, un wok, une plaque de découpe de bonne dimension etc… le paragraphe sur l'usage du plastique ne laisse aucun doute. Les matériaux indignes n'aident pas à fabriquer une nourriture digne. De la même façon, les vêtements, les lits, les bijoux sont évoqués parce qu'ils font partie des besoins fondamentaux, et donc à ce titre doivent être bien pensés, dans la sobriété et l'adaptation aux gestes du quotidien. Par cette lecture je suis transplantée 40 ans en arrière, mais je ne suis pas dépaysée. Je ne crois pas que mon âge y soit pour quelque chose. Bien sûr, quelques notions et attitudes me sont un peu familières. Mais cela n'a jamais été mon idéologie de prédilection. Le mouvement hippie est bien loin de moi. Tout de même, lire sous la plume de Alan Watts tant de propos marqués du simple bon sens fait plaisir. Il a sans doute prêché dans le désert. De manière assez absurde, les fausses valeurs et l'industrialisation effrénée de la nourriture sont devenues la norme. Ce qu'il dénonçait en 1960 s'est encore aggravé. Qu'est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que plus forte est la pente (la force des profits financiers) et plus rapide est la dégradation de la vie quotidienne. Ce qui rapporte aux uns bousille la vie des autres, qui restent muets parce que gavés d'écrans de toute sorte, anesthésiés.

Alors, pourquoi éprouver ce plaisir à lire Alan Watts ? Tant qu'il y aura quelques personnalités capables de ce parler vrai, même si il est légèrement entaché de vernis utopique et bien pensant, on se reprend à espérer à un avenir différent. Malheureusement, cet avenir ne pourra être différent que pour un nombre de gens bien limité. Ceux qui s'inscrivent dans les rares marges encore existantes, ou qui cherchent des niches protectrices. Mais le plus grand nombre continuera à acheter de la nourriture industrielle, à avaler sans plaisir mais avec goinfrerie des plats trop salés, trop gras, trop sucrés, trop… Trop de trop. Trop regarder la télé. Trop acheter de gadgets inutiles. Trop de trop. La croissance névrotique, dit-il, particulièrement sensible dans la déferlante de jouets pour des enfants élevés dans la civilisation drugstore, où "on ne vit que de hamburgers, de hot dogs, d'ice-cream, de pop-corn".

Comment la société américaine pouvait-elle recevoir les critiques et les messages de ce personnage il y a 40 ou 50 ans ? propos de doux farfelu, hurluberlu sympathique mais irréaliste ? J'aimerai savoir si il a eu une influence, si son enseignement a permis que survivent des îlots de résistance à la croissance effrénée qui couvre la planète de déchets non seulement inutiles mais nuisibles.

Je sais que vient d'être réédité un livre de 1936, l'Esprit du zen. Donc un courant perdure, qu'il faudrait peut-être savoir suivre. Je m'émerveille de la pérennité des textes… Par hasard je saisis un livre sur une étagère, et me voici au cœur d'une réflexion toujours d'actualité, 50 ans après. Miracle de l'imprimerie, de l'édition, et des bibliothèques. Mais miracle à la merci d'un désherbage rapide, par délabrement du livre lui-même, méconnaissance ou choix plus idéologique d'élimination. Le livre lui-même à un aspect un peu minable. La collection Médiations chez Denoël Gonthier a mal vieilli, le papier est très jauni, l'ensemble n'incite pas à la lecture. Ce n'est pas "vendeur". Oui mais. Le texte est là, dans sa vérité de l'époque, et dans sa permanence historique. Des pépites oubliées, tellement précieuses.

 


26/09/2011

Claude Roy

Claude Roy, L'étonnement du voyageur, 1987-1989, Gallimard

Chez un libraire d'occasion, en panne de lecture, j'achète un livre de Claude Roy. Le libraire (je crois que c'est un érudit, me dit : "C'est un plaisir de vendre un Claude Roy. Il est bien oublié aujourd'hui. J'espère qu'un jour il sortira du purgatoire". Nous devisons ainsi un instant sur les auteurs passés qui ne connaissent plus la faveur du public, après avoir été des gloires des lettres. J'aime avoir des lectures décalées, qu'aucune nécessité de l'actualité n'impose. Une fois de plus, je prends plaisir à relire Claude Roy, même si je saute des pages, lassée par des considérations sur les écrivains, la vie, la mort, les régimes totalitaires, quelquefois trop présentes à mon goût. C'est une lecture tranquille, quasi reposante car je ne suis pas tenue d'en rendre compte. Pas de justification à cette relecture d'un livre déjà d'un autre temps, juste la redécouverte des années 80, de la vie littéraire d'il y a 30 ans, jusque et y compris dans les tournures de phrases, le vocabulaire, les références aux auteurs-amis. C'est une écriture fluide, aisée, trop facile ? Mais, entre autres, ses propos sur la vieillesse sont d'une justesse sans défaut. Et j'aime bien ses maximes qu'il appelle des "minimes" : "Éviter en vieillissant de croire qu'il n'y a plus rien à désirer parce qu'on n'a plus de désir à rien". Ou bien : "Voir, de ses yeux voir, se fait de plus en plus rare : on regarde pour nous". Ce qui me fait penser une fois de plus que nos admirations ne sont que de seconde main… Et pour finir (provisoirement ?) ceci, qui doit toucher chacun de nous : " Je crois aux revenants : ils surviennent tous les jours dans ma mémoire".

 

18/09/2011

La petite égyptienne

Le contenu des livres n'existe que par les lecteurs. Réouvrant un livre fermé depuis très longtemps, je tombe sur ce texte gravé sur la tombe d'une petite fille égyptienne, il y a 4000 ans, et duquel sourd la douleur :

            J'étais petite et pourtant j'ai dû m'endormir

            L'eau coule près de moi, et pourtant j'ai soif

            J'ai quitté ma maison, sans avoir apaisé ma faim

            C'est dur le noir très noir, pour une petite enfant

            Haute est la poitrine qui étouffe ma bouche

            Les gardiens de la porte empêchent les vivants de venir me voir

            Mon cœur serait heureux pourtant de voir des gens

            J'aimais le bonheur

            Maître des Dieux, Maître d'Éternité

Donne-moi du pain, de l'encens et de l'eau.

 

Je dois à Claude Roy de (re)découvrir ce texte, cité par lui p.80 de Permis de séjour, 1977-1982, Gallimard, 1983.