Entendues, volées, petites phrases...

Vous n'avez pas besoin de moi pour savoir comment le lait vient aux noix de coco...

La vie est nulle part ailleurs qu'Ici et Maintenant

Perdre

Perdre et oublier qu'on a perdu quelque chose. Oublier ce qu'on a perdu. "Les heures envolées, les personnes mortes ou disparues, les pensées qui ne reviendraient plus" (Murakami). C'est l'aventure du quotidien, une affaire que l'on tait la plupart du temps, pour ne pas dévoiler ses faiblesses. Se sentir comme une casserole percée n'est pas agréable. Pourtant ! Je me revois enfant, traçant à grands gestes des 8 sur le plancher poussiéreux de la grande salle à l'aide de ce bizarre instrument, en forme de grand entonnoir, rempli d'eau, avant le coup de balai du matin. C'était un jeu de transporter l'entonnoir plein en bouchant d'un doigt ferme l'ouverture, c'était un jeu de voir l'eau s'écouler en larges gouttes, c'était un jeu de se mouiller les pieds et d'asperger ses voisins. Mais cela n'a rien à voir... Se dire que ce que l'on perd et qu'on oublie avoir perdu n'est que le trop plein de l'existence.

Misère, misère

C'est une vieille dame, cela s'entend à sa voix. Derrière le rideau blanc qui la protège des regards, il y a un peu d'agitation. La dame est sourde, très sourde, mais l'infirmière n'a pas compris qu'elle était sourde surtout du côté gauche. Toute la salle profite du dialogue : " Vous mesurez combien ? - Quoi ? -Qu'elle est votre taille ? - Je sais pas trop, ça m'a jamais vraiment intéressé. Je suis pas grande, c'est sûr. Un peu plus d'un mètre cinquante. Le poids ? Je ne sais pas. Vous voyez, je suis pas bien épaisse..." Elle parle avec l'accent des Vamps. Mais elle toute contente d'annoncer qu'elle est née en 1920. La maison de retraite où elle réside l'a envoyée dans ce service d'urgence parce qu'elle était tombée. Elle repartira dans un moment, sans diagnostic précis. Elle est vieille, c'est tout. Derrière le rideau, la voix est pathétique : "s'il vous plaît ?". Je ne sais pas ce dont elle a besoin, réellement. Sans doute d'attention. Mais personne n'a le temps de s'intéresser à une très vieille dame, pourtant si docile, et qui ne comprend pas pourquoi elle est là.

Les volailles et le cinéaste

La volaillère du marché du vendredi matin est affable, souriante et très bavarde. Pendant que j'attends mon tour, la volaillère s'est lancée dans une grande conversation avec une cliente sur... Tarantino. Sa filmographie vole dans le vent glacé, échange de points de vue, on aime, on n'aime pas, ses acteurs... Je regarde l'étalage très soigné, en préparant mentalement ma liste de courses. Madame P. ne cesse de m'étonner : il y a quelques mois, elle a passé le permis moto, et n'en a parlé qu'après l'avoir réussi. "Vous comprenez, j'ai 50 ans, les enfants n'ont plus besoin de moi, mon mari n'aime pas bouger, alors, hop !, je vais pouvoir partir me promener, seule, libre". Finalement, ce n'est pas étonnant qu'elle soit fan de Tarantino. Il n'y a pas que l'élevage des volailles dans la vie. En aurais-je douté ?