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13/02/2013

Napperons

Avant, pas de maison bien tenue sans les indispensables napperons. En dentelle de coton blanc ou brodés de fleurs (capucines, volubilis, branches de houx), aucune table n'échappait à son napperon. Les petites filles faisaient leurs premières armes sur des motifs imprimés en bleu sur la toile bise. Et tous les journaux féminins proposaient chaque semaine un dessin à broder, à crocheter, voire à tricoter pour les plus adroites de ces dames, à qui personne n'avait suggéré qu'elles pouvaient développer d'autres savoir-faire. Beaucoup d'habileté consacrée à des motifs assez médiocres, et beaucoup d'opiniâtreté aussi pour les terminer. On apprenait dès l'enfance les points de base : point de tige, point de chaînette, passé-plat, passé-plat empiétant, point de croix. Les tiroirs des vieilles maisons regorgent d'ouvrages jamais terminés, parce que trop ambitieux pour les jeunes mains maladroites. J'ai ainsi commencé (à l'instigation de qui, je ne sais plus) un grand napperon dont les 4 coins étaient ornés de figures de clowns, à broder au point de tige. Je me suis vite lassée : le second clown jamais terminé, les deux derniers même pas commencés. Broderies rabat-joie, et des heures penchées sur des ouvrages fadasses. Je n'aime pas les napperons, cache-misère des mobiliers modestes, mais j'aime, malgré les souvenirs ingrats, la broderie, les cotons à broder aux couleurs numérotées, les toiles de lin. Tout un petit monde qui perdure parce que les brodeuses ont trouvé, enfin, d'autres destinations à leurs ouvrages. Exit les napperons, produits inutiles, qu'il fallait de plus entretenir, laver, amidonner, repasser...

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07/02/2013

Deuil

Le noir allait avec le deuil. L'odeur fétide de la teinture, la lessiveuse sur la cuisinière, et des vêtements lamentables ensuite, mais noirs, ou à peu près noirs. Vêtements sacrifiés. Les deuils des très proches, que du noir, rien que du noir. Le deuil doit se voir. Le mauve vient plus tard, un an après : le demi-deuil. Pour les moins proches, le gris peut convenir. Les hommes étaient épargnés : un large ruban noir au revers de la veste indiquait leur nouvelle situation d'endeuillé. Le ruban se détachait de lui-même assez vite. Et pas de ruban mauve pour eux. Bizarre convention : les hommes exemptés du deuil ostentatoire. Mais pas du chagrin, sans doute.

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27/01/2013

La mère de la tabaquine

La vieille mère de la tabaquine entretenait un feu de pauvresse dans le poêle à trois pieds, qui servait aussi de fourneau pour la soupe. Elle revenait chaque jour de la grange en traînant des branches de bois mort, ramassées dans les bois. Je ne sais plus comment s'appelait cette femme. Je me souviens de son air acariâtre lorsqu'elle recomptait la monnaie du journal. Méfiante, comme si on avait l'habitude de la voler ! La salle du café était froide, voire glaciale. La vieille se tenait serrée contre le poêle, que l'avarice de sa fille lui interdisait d'alimenter généreusement. Le mari de la tabaquine s'appelait Paul, et avait une carriole "à mécanique". Il fallait tourner rapidement la petite manivelle de cette mécanique pour bloquer la carriole à l'arrêt. Le cheval s'appelait Bibi. Il m'arrive de penser à la mère de la tabaquine lorsque j'allume le poêle le matin, assise sur un petit tabouret, attendant que le feu démarre. Des fresques ornaient les murs du café : des biches dans une clairière, des hirondelles dans le ciel. Ce n'était pas beau, à proprement parler, seulement étonnant dans cette salle miteuse. Les nouveaux propriétaires ont repeint les murs en blanc, ce que j'ai regretté. À tort : ce n'était plus un café, et je n'avais aucune raison d'entrer à nouveau dans cette maison.

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22/01/2013

Archéologie (7)

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Décembre 1918 : quatre personnes autour d'une tombe : Mon arrière grand-mère, mes deux tantes, mon père, encore en uniforme militaire. Ma grand-mère vient de mourir de la grippe espagnole, à 48 ans. Mon père, arrivant en permission, apprend cette mort par un cousin rencontré sur la place du chef-lieu. Si tu te dépèches, tu arriveras à temps pour l'enterrement, lui dit celui-ci. Il est, paraît-il, arrivé à temps. Ils sont là, tous les quatre, recueillis. Ma grand-mère est morte après l'armistice, sans avoir revu son fils, indemne après ces années de guerre. C'était une femme courageuse, souriante malgré les difficultés : faillite commerciale, mort de son mari, mon grand-père, en 1912, hostilités familiales et que sais-je encore. Mon père vénérait sa mémoire, écrivant à son propos qu'elle avait surmonté l'adversité sans jamais perdre le sourire, et qu'elle était un exemple pour lui.  

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