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15/11/2012

Souvenir

Lisant les premières pages de "14" de Jean Echenoz, où il évoque la distribution des uniformes, me revient subitement un souvenir anodin, de ce genre de souvenir sans importance mais pourquoi s'en souvient-on ? Mystère ! J'ai porté dans ma petite enfance une pèlerine taillée dans une ancienne capote militaire ayant appartenu à mon père. J'ai eu sur le dos, pendant quelques années, un peu de tissu rescapé de la grande guerre, de la boue des tranchées et des éclats d'obus. C'était un tissu très serré, drap de laine un peu raide, qui protégeait bien du froid, mais long à sécher après la pluie ou la neige. Cette petite pèlerine à capuche que je portais sans accorder la moindre importance à son origine en raison de mon âge, taillée et cousue par ma sœur aux doigts d'or, devenue avec le temps comme un lien personnel entre une petite fille en galoches et la première guerre mondiale, dont mon père parlait souvent, pèlerine qui n'existe plus que dans mon fragile souvenir mais par laquelle j'ai effleuré un fragment d'histoire et qui a marqué mon inconscient. Il y avait sans doute eu les commentaires proférés à voix haute par les adultes, mon père, ma mère, ma sœur si habile couturière, capable de sauver ce qu'il fallait de tissu pour me confectionner un vêtement dans une capote qui, après avoir connu les tranchées, avait encore dû être utilisée par mon père, d'où ses commentaires, et expliquant sans doute la permanence dans ma mémoire de cet épisode insignifiant.

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18/10/2012

Classiques Larousse

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Les Classiques Larousse et leurs vieux cousins Hatier ou Hachette m'ont souvent sauvé la mise, à défaut de me donner le goût de la lecture. On les trouvait facilement d'occasion, en ces temps lointains où les programmes scolaires changeaient peu, et où les bourses aux livres étaient un des grands moments de la rentrée scolaire, et ce dès la 6ème. Ils se transmettaient aussi en famille, entre frères et sœurs, entre cousins, ou entre amis. Ils étaient notre mini capital culturel commun. Le vocabulaire expliqué dans les notes en bas de page, l'examen du texte, la chronologie de l'époque, les résumés, tout était fait pour donner à l'élève paresseux les éléments de réponses aux devoirs. Pas de scolarité secondaire sans les Classiques Larousse et leurs couvertures parme. À vrai dire, ils rendaient la lecture des œuvres elles-mêmes un peu accessoire. Mais j'ai acquis avec eux un vernis culturel et quelques connaissances, en compléments des inusables Lagarde et Michard, dont j'aimais beaucoup les extraits de textes, qui convenaient parfaitement à mes maigres besoins d'érudition... Un vernis, vous dis-je ! Toute la grande littérature était (est ?) présente au catalogue. Les auteurs grecs et les auteurs latins, Ronsard et ceux des siècles suivants. À défaut de connaître les textes, on connaissait au moins les noms. Les Classiques Larousse ne sont ni les Budé ni les Garnier à couverture jaune, pas moins austères mais moins chers et plus maniables, une vulgarisation littéraire de haute tenue, pas l'érudition, et une typographie à vous user les yeux dès votre plus jeune âge... Irremplaçables Classiques Larousse. 

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10/10/2012

Préparatifs

À chaque rentrée des classes, les mêmes rituels : recoudre les boutons des blouses neuves (ma sœur disait en riant qu'en confection on économisait même sur le fil des boutons...), recouvrir les livres d'école de ce papier bleu qui se décolorait au fil des mois, tailler les crayons de couleur rescapés de l'année précédente, faire réparer par le cordonnier le vieux cartable, en même temps que le ressemelage des chaussures usées par les ainées. L'ambiance était plutôt gaie, détendue. Les mains maladroites froissaient le papier bleu, des gouttes de sang perlaient au bout des doigts des apprenties couturières récalcitrantes. On n'avait alors pas encore entamé le capital de sympathie éprouvé pour l'école. En 6ème et en 5ème, j'ai fréquenté un collège où à chaque début de trimestre, toutes les élèves réunies dans la cour chantaient la Marseillaise et les Allobroges, sous la direction du professeur de musique, en présence de la directrice et des professeurs. Univers totalement féminin, à part le professeur de musique, un peu bedonnant, insignifiant à vrai dire, et dont le chœur d'enfants, en début de trimestre, était le seul moment fort de sa vie d'enseignant.

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01/10/2012

La vie pas douce

Comment rendre douce une vie qui ne l'était pas naturellement ? Le quotidien était rude, pénible. Travail de force, à l'extérieur, par tous les temps, à une époque où les vêtements n'étaient pas imperméables et étaient longs à sécher. Les hommes se blessaient souvent, surtout aux mains. Ma mère conservait sa pharmacie de première urgence dans le buffet de la cuisine (porte du haut, à droite...) et savait retirer les grosses échardes avec adresse, à l'aide d'une aiguille flambée. Mais les panaris et furoncles guérissaient lentement, malgré les bains d'eau chaude javelisée. Soins sommaires. Mais alors, tout dans la vie était précaire, même si les enfants ne s'en rendaient pas compte. Le transport des grumes, qui fut l'un des métiers de mon père et de mon frère (avec le bûcheronnage), était irrégulier, dépendant de la météo, des coupes de bois et de l'état du camion, qu'il fallait réparer la nuit pour être à pied d'oeuvre le lendemain, sur des chantiers impossibles, perdus dans la montagne, que tout le monde refusait, mais pas eux. L'odeur du cambouis, dans le froid du garage "d'en-haut", les chocs des outils sur le sol cimenté, les voix assourdies dans la fosse, sous le châssis. Et la colère, impuissante, lorsqu'ils ne pouvaient effectuer la réparation, faute de pièces. L'univers des adultes parvient aux enfants de manière lointaine. Ils avaient une vie rude, mais je n'en percevais que des bribes, sans pouvoir relier entre eux ces divers éléments : les vêtements mouillés, les mains douloureuses, l'odeur du cambouis, c'était normal. Ils ne se plaignaient jamais, ni eux qui subissaient les intempéries et les dangers des piles de grumes glissantes, ni ma mère qui attendait leur retour, la soupe chaude prête à être servie, le seul réconfort qu'elle pouvait apporter à ces hommes exténués, si courageux, prêts à repartir à l'aube le lendemain, sans remettre en question leur vie de labeur. Non, la vie n'était pas douce, et rien ne pouvait l'adoucir, sauf cette petite pharmacie qui permettait d'éviter le pire, la soupe chaude et les vêtements secs.

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