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08/06/2012

Le petit bureau

Le papier peint du petit bureau était imprimé de motifs de toile de Jouy, bleus me semble-t-il. Je dis petit bureau... mais il n'y avait pas de grand bureau, donc pourquoi petit bureau ? C'était la pièce où il y avait, outre le mobilier habituel, table, chaises, la machine à coudre Singer, qui normalement n'aurait rien eu à faire là, mais il n'y avait pas d'autre endroit possible, et dont seule ma sœur aînée connaissait le fonctionnement capricieux. On disait dans la famille que c'était une machine du lundi, car il était bien connu que le lundi les ouvriers n'avaient pas le cœur à l'ouvrage. Les enfants se tenaient sous la table pour suivre le mouvement du pied de la couturière sur le pédalier. On voyait le tissu défiler à toute vitesse, retombant souplement sur l'arrière de la machine. Le charme du petit bureau provenait de sa taille, petite (intime), des dessins imitant la toile de Jouy sur les murs, où il y avait tant à contempler, et de l'atmosphère tranquille, à l'abri des allées et venues dans la vieille maison, où tant de gens en entraient et sortaient, parlaient fort. Les souliers cloutés raclaient les planchers. Il y avait partout des odeurs fortes, tabac, vin, sueur, cuisine, lessive. Sauf dans le petit bureau, dont on pouvait fermer la porte, où nous pouvions aussi faire nos devoirs, mais personne ne nous surveillait, ni ne nous aidait.  

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17/05/2012

Coupe-papier

L'usage du coupe-papier s'est perdu, depuis que les livres sortent de chez l'imprimeur massicotés, prêts à être lus. Lorsqu'un membre de la famille se révélait être un lecteur (de livres), on lui offrait volontiers un coupe-papier en forme de sabre ou d'épée, quelquefois orné d'un écusson régional s'il avait été acheté dans une boutique de souvenirs. Ceux que je possède encore s'oxydent au fond d'un tiroir et mes petits-enfants ne sauront même pas quel usage nous pouvions faire, autrefois, de ces petits objets, quelquefois précieux ou le plus souvent de pacotille. J'aimais beaucoup pouvoir lire un livre aux pages non massicotés, la progression de ma lecture freinée par l'obligation d'avoir à couper les pages 4 par 4. Je découvrais un texte dont j'étais la première lectrice. Le plus souvent, on se servait d'un couteau de table ou d'un canif, le coupe-papier en forme d'épée étant introuvable au moment où l'on en avait besoin. Petit rituel un peu exceptionnel malgré tout, car on ne disposait pas souvent de livres non massicotés, neufs, petit rituel maintenant oublié, disparu à jamais. À l'heure du numérique, se souvenir des coupe-papier, objets désuets qui ne sont même plus utilisés pour ouvrir le courrier, car à part les factures, on ne reçoit plus de courrier, et les enveloppes des factures, on les ouvre à la diable, sans le souci de les préserver des déchirures.

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14/04/2012

Poupon

Le mot poupon ne s'emploie plus guère. Je le trouve dans un roman policier d'Alexandra Marinina, La 7ème victime, à la page 93. Il s'agit d'un minuscule poupon de celluloïd, sans doute très semblable à ceux avec lesquels j'ai joué enfant, tellement minuscule que poupon et garde-robe (bouts de chiffons maintenus de fils de couleur, pas même cousus) tenaient dans une boîte de Kalmine, médicament favori de ma mère contre les migraines. Des gros cachets ronds, enrobés d'une sorte de membrane en pain azyme, qu'il fallait tremper rapidement dans une boisson pour pouvoir les avaler sans trop de peine. Trop mouillés, ils se désagrégeaient. Il fallait faire vite. Je garde un vif souvenir de ces cachets, bien sûr, mais surtout du poupon, de sa garde-robe, de la boîte de Kalmine. Jouets sans valeur que je regrette de ne plus avoir. Mais les aurais-je devant moi aujourd'hui, seraient-ils aussi vivants que dans mon souvenir ?

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12/04/2012

Elle, la nuit

Insomniaque, elle se levait la nuit, buvait du café à 3 h. du matin, pour se réconforter. La boisson chaude et sucrée lui faisait du bien. Quelquefois retournait se coucher, et parvenait à se rendormir. Mais souvent, elle gagnait le petit bureau, et travaillait, correspondance, comptabilité, interminables additions chuchotées, une voix imperceptible à 2 mètres, inséparable de cette image que j'ai d'elle, penchée sur ses papiers en désordre, toujours en désordre. Une solitude silencieuse, quasi sacrée, qu'à cette heure nocturne puis seulement matinale personne ne venait déranger. Un peu plus tard, le vrai café du matin, frais, parfumé, pris avec le reste de la maisonnée, venait récompenser ces heures de travail solitaire. "J'ai bien avancé mes comptes", disait-elle, satisfaite, oubliant l'insomnie. Elle ne beurrait pas ses tartines comme les autres, mais cassait le pain en petits morceaux, l'imbibait de café dans la petite cuillère, ou directement dans le bol, et le mangeait après avoir déposé une lichette de beurre sur chaque bouchée brûlante. Je ne savais pas, alors, que ça ne durerait pas, le café la nuit, les additions chuchotées, le bureau en désordre, c'était comme une image quasi éternelle, la sécurité de l'enfance. Qu'il a fallu apprendre à perdre.

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