Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/11/2011

L'anguille des bois

Ils sont 8 à table, tous les jours. Les parents et 6 enfants. Pas simple à nourrir ce monde-là, quand l'argent est rare. Les poules ne pondent pas, à cause du plomb broyé par le père, qui fabrique des vernis pour les potiers. Le jardin, ça va, il pousse bien, plomb ou pas. Un jour, la mère prépare un plat inconnu. Ils se régalent. Poussée par la curiosité, l'aînée des filles demande ce que c'est, là, dans la cocotte, puis dans les assiettes, qui est si bon, mais de forme bizarre, il faut bien le reconnaître. Le père rigole et dit : "c'est de l'anguille des bois". Silence autour de la table. Puis : il y a des anguilles dans les bois ? Le père, toujours rigolard : puisque je vous le dis ! Plus tard, ils apprendront qu'ils ont mangé une couleuvre. Comme quoi les couleuvres, ça s'avale, et ce n'est pas une image. Ça se passait dans les années 20, la pauvreté était aussi âpre que maintenant. Il ne faut rien oublier.

08:25 Publié dans Avant | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer

16/11/2011

Froid

Quel froid dans les chambres dans mon autrefois personnel. Le givre dessinait de grandes figures sur les vitres des fenêtres. Pas question de mettre du chauffage. Les radiateurs bricolés par mon père étaient réservés aux pièces de vie. Il les fabriquait avec des tubes d'éternit, sur lequel il enroulait des boudins de fils (de cuivre ?), portés au rouge lorsqu'on les branchait. Aucune sécurité, mais personne, par chance, ne s'est jamais brûlé. Quant à la consommation, n'en parlons même pas. Mais mon père avait construit une mini centrale électrique sur le torrent, et ne regardait pas défiler les kilowatts, d'ailleurs nous n'avions pas de compteur. Il arrivait pourtant qu'il faille couper tout ce qui était branché (cuisinière, chauffe-eau, radiateurs, étuves du gazo), car le voltage baissait dangereusement. On voyait la lumière décliner, l'aiguille du voltmètre penchait vers la gauche, et il fallait que quelqu'un descende à "l'usine" à toute vitesse pour faire les gestes techniques indispensables, en premier lieu enlever les feuilles qui obstruaient la grille d'arrivée d'eau, au bout du canal de dérivation. Mon père n'a jamais installé de rateau mécanique. Je devenais introuvable dès que la lumière baissait, tant j'avais peur d'être obligée de traverser le torrent sur la passerelle branlante, surtout à la nuit tombée. Donc, pour reprendre, des chambres glaciales, la toilette ultra rapide, et les vêtements froids à enfiler (impression d'humidité...), surtout le lundi matin, vers les 5 heures, quand il fallait se préparer avant d'aller prendre le car, destination l'internat. On pouvait, à la rigueur, brancher de petits radiateurs paraboliques pendant qu'on se lavait, mais franchement, ils ne chauffaient guère ! Oserais-je dire que je regrette les grandes fleurs de givre sur les vitres ? C'était tellement beau...

07:20 Publié dans Avant | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer

11/11/2011

Mon 11 novembre

Le 11 novembre, une brève cérémonie rassemblait les habitants du village autour du monument aux morts, dans le cimetière, à 11 heures, heure de l'armistice de 1918. Le maire procédait, avec solennité, à l'appel des disparus, une trentaine de noms. Un ancien combattant, qui avait perdu un bras dans cette boucherie, répondait d'une voix forte : "Mort pour la France". Moi, j'entendais : Bor pour la France, scandé d'une façon très particulière, que je ne sais pas retranscrire. Après cet appel, lugubre dans le froid de novembre, il y avait une minute de silence. L'assemblée, très recueillie, était composée, je l'ai dit, des habitants du village, dont certains, comme mon père, étaient des rescapés de la guerre de 14-18. Les enfants de l'école entonnaient ensuite la Marseillaise, guidés par l'instituteur. C'était tout. Je ne me souviens pas qu'il y ait eu ensuite le moindre discours ni vin d'honneur officiel. Après cette mini-cérémonie, empreinte d'une certaine grandeur et d'émotion, les gens se retrouvaient, par affinités, dans l'un des 4 bistrots. C'était le meilleur moment du 11 novembre. Tous ou presque avaient vécu cette guerre désastreuse pour les campagnes françaises, soit directement, soit par les conséquences de la disparition de membres de leurs familles. Mon père était un rescapé, un chanceux et je suppose qu'à chaque 11 novembre, il devait penser que son propre nom aurait pu être gravé sur la pierre du monument. Il ne disait rien de ce qu'il avait vécu. Il parlait, avec faconde, des hommes. Il racontait des anecdotes plutôt drôles sur la vie dans les tranchées, dans les casernements, un peu vantard, pourrais-je dire. Mais jamais l'horreur de la guerre. Jamais la peur. Jamais l'ennui. Jamais le froid, l'humidité, le rata dégoûtant, tout ce que d'autres ont raconté dans leurs lettres ou leurs journaux. Il n'envoyait que de brèves missives à sa mère et à ses soeurs, surtout pour demander qu'on lui envoie des nouvelles. À peine si, occasionnellement, il disait avoir rencontré une connaissance du pays, ou avait appris qu'un autre était blessé ("il est tiré d'affaire maintenant", c'est-à-dire : il ne retournera pas au front), ou mort. Je ne sais pas, tant d'années après, ce qu'il pensait de cette guerre, dont il était revenu bardé de décorations, mais très malade. Ils n'étaient pas si nombreux, les rescapés, réunis autour du monument aux morts. Amochés, mais vivants. Il y a chez moi, comme dans de nombreuses familles, des objets fabriqués par les soldats, pendant les périodes d'inaction : bougeoirs, vases, et le pire, je trouve, mais je ne sais pas pourquoi je pense que c'est pire, des bagues en aluminium ou en fer blanc. Une manière de passer le temps, et la matière première hélas ne manquait pas. Ces objets ne sont pas beaux, mais ils sont là, et je fais encore partie des gens pour qui ils ont une signification. Mon père les a ramenés dans ses bagages, avec sa caisse de photographe, son uniforme, ses éperons (!) et sa selle. On ne voyageait pas léger à l'époque.

09:21 Publié dans Avant | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer

23/10/2011

Mon premier livre de lecture

P1060747.JPG

Mon premier livre de lecture. Édité pour la première fois en 1931, mais encore en usage dans les écoles rurales des années 40 et 50. Cet exemplaire est un reprint de 1971, il m'a été offert par un ami qui connaissait mon goût pour les manuels scolaires. Mais le prenant dans mes mains, j'ai éprouvé un choc presque violent. J'avais oublié ces images, la silhouette de "Toto", la typographie... Mais non, je n'avais pas oublié : j'ai reconnu immédiatement le livre, les dessins naïfs, les mots. L'apprentissage de la lecture est un grand moment dans la vie. Non, je n'ai rien oublié. Et mes lectures, définitivement, sont sans larmes.

P1060748.JPG

12:27 Publié dans Avant | Lien permanent | Commentaires (1) |  Imprimer